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Qu’est-ce que l’université aujourd’hui et pour quelles luttes ?
À propos du livre d’E. Barot, Révolution dans l’université. Quelques leçons théoriques et lignes tactiques tirées de l’échec du printemps 2009

par Jacques Wajnsztejn

Recension de :

Emmanuel Barot, Révolution dans l'Université. Quelques leçons théoriques et lignes tactiques tirées de l'échec du printemps 2009, Paris, La Ville Brûle, 2010.
ISBN : 978-2-36012-008-6 - 176 pages - 13 euros


Beaucoup de points m'ont intéressé :

1 – La critique du savoir neutre, idéologie qui implique qu'il faut « sauver l'université ».

Je l'ai soulevé moi aussi, au sein de la coordination des collectifs « École en danger », quand j'ai fait remarquer que le mouvement exprimait une crise de l'institution sans critique de l'institution2. Toutefois l'intitulé « École en danger » n'implique pas automatiquement qu'il faut « sauver l'école »… telle qu'elle est ! Comme tu le dis, il faut bien plutôt insister sur « qu'est-ce qu'il y a à sauver ? » et « penser l'état de chose existant à partir d'un point de vue autre » (p. 161) qui exige une certaine intransigeance et nécessite de faire la différence entre lutte et mouvement de lutte (cf. annexe I).

L'oppositionnel ne peut se définir comme aménagement de zones de liberté par rapport à l'institution ni même par rapport à l'idée d'université autogérée telle qu'elle a pu être discutée les 29-30-31 mai à Paris à l'inter-séminaire où était d'ailleurs présent un membre toulousain du comité 227.

En effet, la question qui se pose concrètement ce n'est pas « Qu'est-ce que l'autogestion ? » mais c'est « Qu'est-ce que l'université aujourd'hui ? ». Nous ne sommes plus dans la période de « l'université libre » de Berlin (1967) ni non plus dans la perspective d'une « université critique » telle que l'envisageait la brochure du Mouvement du 22 mars nanterrois en 1968. Déjà, la caricature de cette université critique dans la réalisation institutionnalisée du centre universitaire de Vincennes (1969) posait question.

Je serais donc assez d'accord avec ta formule qui avance l'exigence « d'une matérialisation du communisme singularisé de la production et de la circulation des savoirs », mais cela implique une sorte d'immédiateté du mouvement pratique d'abolition de l'état de chose existant qui me paraît incompatible avec les idées (que tu avances) de contre-institution et d'autogestion. C'est la question des médiations qui est posée mais dans une perspective qui ne conçoit pas de division entre forme et contenu. Comment faire pour que cela ne reste pas à l'état d'aporie ?

2 – Cette absence de critique de l'institution va d'ailleurs de pair avec l'insuffisante prise de distance avec les organisations syndicales, soit parce que celles-ci, quand elles sont majoritaires, continuent à être considérées comme faisant partie du mouvement puisqu'elles pérennisent les acquis des luttes même si elles freinent leur déroulement, soit, quand elles sont minoritaires (sud, cnt, cgt éducation) parce qu'elles participent au développement des luttes… tant qu'elles ne rentrent pas en contradiction avec la logique de l'organisation qui, en dernier ressort, s'avère toujours être une logique d'appareil même si cet appareil est squelettique. On en a eu un exemple à Lyon quand, alors qu'à la base les militants de sud et cnt œuvraient dans le cadre « d'École en danger » à une manif autonome pour le 10 mars, leurs organisations ont rallié le 9 mars une intersyndicale de sabotage du 10 pour finalement décider d'une manif syndicale pour le 11 ! Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une trahison de la base par le sommet puisque dans ces syndicats croupions, militants de base actifs et chefs se confondent le plus souvent dans des mêmes personnes qui se dédoublent suivant les situations (cf. annexe II).

3 – L'idée d'une « université oppositionnelle » mérite une analyse. Elle a aussi été développée dans les Journées critiques organisées à Lyon en avril 2010 sous l'égide de Dietrich Hoss. La notion semble être très développée en Allemagne au sein de l'École de Francfort, autour d'Oskar Negt qui oppose espace public et espace oppositionnel et entre en conflit avec la tendance habermasienne dominante d'une reconquête de l'espace public. Je n'ai pas encore approfondi la question mais peut être faudrait-il regarder de ce côté, sans pour cela reprendre des thèses marcusiennes forcément dépendantes de leur proximité avec la dernière grande vague révolutionnaire du siècle. Par exemple Hoss, dans un projet d'article : « L'insurrection des sens et du sens », parle de « subjectivités rebelles et éphémères » qui vont être obligées, pour se développer, de « créer des espaces protégés d'expérimentation et d'échanges » (plutôt que de produire des pratiques alternatives). Pour lui, il faut quitter le champ de la dénonciation et créer des expériences d'action directe3.

Dans le même ordre d'idée, s'avère positif le fait que cette « volonté oppositionnelle récuse par définition que les aspirations soient diluées dans les revendications institutionnelles4 » (p. 143), ce qui conduit à raisonner en termes de bon fonctionnement de l'institution, de bon fonctionnement de l'État (cf. annexe III en fichier).

L'état de déliquescence avancée atteint par la fonction de l'université aujourd'hui serait-il favorable à la création de tels « espaces publics oppositionnels » ? La question mérite d'être posée car entre l'étayage par le haut (les grandes écoles et quelques facultés sélectives comme Paris-Dauphine) et par le bas (gonflement des effectifs de bts et des iut) une marge de manœuvre peut à nouveau se dégager pour des étudiants et enseignants-chercheurs qui ne seraient pas ou ne veulent pas être concernés par la professionnalisation. Des étudiants et enseignants-chercheurs qui sont d'autant moins concernés que cette professionnalisation des universités est décalée par rapport à une situation du marché du travail marquée par la tendance à une inessentialisation de la force de travail5 qui rend caduques les qualifications et les compétences professionnelles de la période précédente fordiste.

Il ne s'agit plus de reconquérir une « autonomie » de l'université conçue comme en dehors de l'économie et même des rapports sociaux (les « franchises universitaires ») ni d'en faire une base arrière pour aller vers la classe ouvrière (une des perspectives des maos de la fin des années 60 et de Vincennes), mais d'occuper des espaces que l'inconsistance de leur fonction rend habitable pour des jeunes qui sont dans l'entre-deux, ni vraiment étudiants ni vraiment salariés6.

4 – La formation qui a englobé l'éducation est devenue un opérateur majeur de capitalisation des activités humaines7. Ce processus court maintenant depuis une quarantaine d'années et rend aujourd'hui difficile la distinction républicaine traditionnelle entre public et privé qui accordait à l'administration d'État la gestion du bien public et reconnaissait au secteur privé sa compétence pour les politiques de formations professionnelles dans une sorte de partage des taches. Cette domination du modèle de la formation rend caduc un activisme pédagogique (pédagogie par objectifs, évaluation formative, « apprendre à apprendre ») encore centré sur l'éducation et trop souvent donné comme « la solution » par nombre de militants de l'éducation qui ne reconnaissent pas la perte de centralité de cette dernière au profit d'une « vaste combinatoire techno-cognitivo-économico-culturelle qui se constitue comme un "milieu apprenant" généralisé et globalisé dans lequel l'école et l'université sont convertis en "réseaux de savoirs", "parcours de compétence", "itinéraires de découverte", "système de crédits"8 ». Dans ce contexte général d'une société capitalisée qui ne parle qu'en termes de gestion des ressources humaines, management des compétences et logique de la performance, les apprentissages se doivent d'être toujours plus rapides, intenses et virtualisés dans la perspective d'acquisition d'opérationalités. En effet, « contrairement aux connaissances qui supposent des médiations et qui s'inscrivent dans une temporalité humaine, les savoirs contiennent leur mode immédiat d'acquisition et d'évaluation. Ils sont à eux-mêmes leur propre finalité9 ». Cela débouche sur une désinstitutionalisation de l'Éducation au profit d'intermédiaires de formation (réseaux, dispositifs, plates-formes, ead etc.)... et la formation des futurs enseignants en est elle-même chamboulée (Cf. l'annexe IV de J. Guigou).

5 – La mise en avant des exigences contradictoires de développer à la fois le régional et l'international dans la concurrence entre universités. C'est un point essentiel de la crise de l'État-nation et donc de ses institutions dont l'éducation est un pilier central. Autonomie et décentralisation ne peuvent que s'analyser dans ce passage de l'État-nation à l'État-réseau10.

6 – La reconnaissance qu'une grève d'enseignants ne bloque rien (et c'est encore plus vrai dans le supérieur que dans le secondaire). Ce sont les blocages des étudiants qui ont amené le pouvoir d'État à bouger. Toutefois, le blocage n'est pas la panacée et ne conduit pas forcément à la remise en cause du système. Il peut n'être qu'une radicalisation des formes d'action en dehors d'une critique radicale11. Tu le montres avec l'exemple des enseignants faisant finalement semblant de bloquer la machine universitaire ou plus généralement quand ils essaient de bloquer les résultats des évaluations sans remettre en cause la notion même d'évaluation sans intervenir sur les rapports entre ces évaluations et la valorisation de la « ressource humaine » des étudiants.

7 – La remarque sur la différence entre « l'oppositionnel » et « l'alternatif » mériterait d'être approfondie. Livrée telle quelle on ne voit pas trop ce qui ferait la supériorité de l'oppositionnel dans la mesure où pour s'opposer, il faut un terrain solide sous les pieds que ne fournissent plus ni les anciennes médiations de classes ni des bases arrières pré-capitalistes permettant de s'y réenraciner. À l'inverse tu dévalorises « l'alternative » comme si celle-ci était une nouvelle forme de réformisme alors qu'on peut au moins se poser la question de son rapport avec une révolution conçue comme un processus et non comme une prise du palais d'hiver.

8 – Le fait que « le xxe siècle a administré une leçon majeure : le système capitaliste n'est pas près de périr de lui-même en raison uniquement de ses contradictions internes ». Mais cela reste vague. Est-ce dû au fait que ces contradictions n'en étaient pas (exemple d'une confusion entre contradiction et opposition) ou au fait qu'elles n'étaient pas antagoniques et ont été englobées (forme particulière de dialectisation des pôles du rapport comme dans le rapport des classes qui s'est avéré plus un rapport de dépendance réciproque qu'autre chose) ? Est-ce que cela veut dire qu'il faut s'en remettre à des contradictions externes (c'est par exemple la position « anti-industrialiste » catastrophiste) ou bien alors faut-il finalement quitter le terrain privilégié des contradictions à partir du moment où on ne se situe plus sur les chemins du matérialisme historique et de la « diamat » ?

Par contre, je suis en désaccord avec plusieurs points :

1 – Il en est un qui me semble fondamental : il est d'ordre chronologique. En effet, tu dates la domination formelle du capital de l'après 68 ; mais alors, comment analyser tout le développement des universités dès le début des années 60 et la réforme E. Faure qui en est la suite ? Il semble au contraire que nous sommes déjà là dans la domination réelle qui est celle du fordisme et qui inclut une massification de l'enseignement comme d'ailleurs de la consommation. Dans cette phase il n'y a pas incompatibilité entre ce que tu appelles les « appareils idéologiques d'État » en plein développement et la contestation de ces mêmes appareils, ce qui va déboucher sur une certaine démocratisation. Dit autrement, dans cette phase l'ascenseur social va fonctionner à plein et c'est au cours de ce processus que les luttes de classes vont être englobées (la contradiction entre les classes n'est plus antagonique). C'est justement ce qui ne fonctionne plus à partir de ce que j'appelle « la révolution du capital12 ». Tu le décris finalement très bien quand tu parles du recentrage de l'État sur ses fonctions régaliennes avec parallèlement « une mutation managériale » de l'exercice du pouvoir d'État, si on entend par là l'intensification de la puissance-pouvoir du Capital (p. 54)… et de son État. Mais ceci n'est pas mis en rapport avec une forme État-réseau qui permet justement cette symbiose. En fait, il y a une erreur de perspective. La période des Trente glorieuses est vue comme une période d'impuissance relative du capital alors qu'elle a jeté toutes les bases de la situation actuelle, c'est-à-dire celle d'une « société capitalisée13 » qui « n'a dorénavant plus d'antagoniste réel » (p. 55). Sur ce dernier point, nous sommes d'accord à condition d'ajouter (… plus d'antagoniste réel) déterminé par des conditions objectives historiques.

2 – Un autre désaccord concerne le rapport aux catégories marxistes. Tu fais encore référence à la distinction travail productif/improductif qui renvoie le travail intellectuel dans le rang des improductifs (p. 46) et les enseignants dans le camp de la petite-bourgeoisie14 alors que le capital a absorbé le processus technoscientifique, ce que Marx anticipait déjà avec sa référence dans les Grundrisse au General intellect, notion que tu reprends à ton compte p. 49. Je vois les deux prises de position successives comme incompatibles.

Plus concrètement, l'important n'est pas de savoir si les enseignants sont productifs ou improductifs, s'ils font partie de la petite-bourgeoisie (ta position) ou des classes moyennes (ce qu'énoncent sociologues et médias), mais de noter les transformations aussi bien de l'institution scolaire (L'État n'est plus éducateur15) que des enseignants eux-mêmes et là je crois qu'on est d'accord. Il y a une crise récurrente de l'institution qui explique la succession récurrente de « réformes » jamais vraiment menées à terme depuis maintenant plus de trente ans mais qui toutes contribuent, comme conséquence et non comme but (c'est important de le dire car très souvent les luttes inversent cause et effet) à la dévalorisation des métiers de l'enseignement alors que l'origine sociale des enseignants est de moins en moins populaire.

3 – Plus secondaire mais dans le même ordre d'idée d'un usage abusif de certaines catégories marxistes, je ne partage pas ton analyse en terme de reproduction d'une force de travail. Mes interventions dans les luttes des lycées depuis presque 40 ans me font dire — et cela a été particulièrement net en 2003 — que les hésitations des enseignants à s'engager dans un boycott du bac ne sont pas liées à la reproduction d'une force de travail hiérarchisée reposant sur un principe méritocratique, principe que la plupart des enseignants accepte. Ce souci existe mais il passe par la défense du bac national valable pour tous et sous sa forme actuelle. Pour le reste, le bac reste un symbole ; le symbole d'une école qui aurait gardé sa fonction d'origine, celle d'être la voie royale vers la connaissance. Le bac représentait effectivement un passeport mais non pas un passeport pour le travail (ça les profs s'en fichent à la limite), mais un passeport vers la connaissance étant entendu que pour eux, celle-ci est quantitative et cumulable au fil d'un cursus qui en s'allongeant viendrait automatiquement compenser les inégalités sociales d'origine et donc participer de la démocratisation de l'enseignement. Il faut quand même remarquer qu'en 68, c'était déjà le but de la lutte des étudiants contre la sélection, dans un tout autre contexte il est vrai puisque la contestation des examens ne concernait pas seulement les modalités de celui-ci (aménagement, report, etc.) mais le principe même.

En continuant de parler de culture dominante tu fais comme si c'était encore exclusivement une culture de classe et forcément tu rattaches la lutte des enseignants à la défense d'intérêts de classe alors qu'il s'agit bien plutôt d'une adhésion à une institution de l'État dont l'autonomie relative est en voie de résorption. Les enseignants du premier degré qui n'ont ni les mêmes origines sociales ni le même statut que les enseignants-chercheurs défendent pourtant à peu près la même chose car justement cela ne correspond pas à des intérêts de classe. C'est là que tes références à Althusser me paraissent inappropriées. L'université n'est pas « un appareil idéologique d'État » parce que l'État, dans sa nouvelle forme d'État-réseau n'est plus une superstructure du capital mais une infrastructure de la société capitalisée16.

4 – Ce n'est pas parce que la bourgeoisie est fractionnée (le capital n'a jamais autant été en voie d'unification ou mieux, de totalisation), que les gouvernements de type Berlusconi ou Sarkozy mènent une politique autoritaire. D'ailleurs Merkel et les pays scandinaves ne suivent pas le même mouvement. Ces deux hommes politiques sont l'expression d'une crise spécifique de la forme État dans des pays où la conflictualité de classe a été englobée beaucoup plus tardivement qu'ailleurs. Ils représentent une opération de délégitimation des anciennes élites — patronales avec Berlusconi, politiques avec Sarkozy — dans des politiques de court terme qui avouent leur absence de dimension stratégique à partir du moment où nous sommes dans une situation de déclin de l'État-nation et son passage à la forme État-réseau.

5 – La tendance actuelle à la désintégration que tu signales (p. 136) par rapport à la tendance à l'intégration avancée par Marcuse au début des années 70, me semble rendre compte de façon inadéquate de la situation. Je parlerai plutôt d'une nouvelle forme d'intégration liée elle-même aux nouvelles formes de l'État. Elle ne se fait plus sur le mode universaliste des valeurs de la révolution française mais sur le mode relativiste des pays anglo-saxons. Retour des communautarismes, des nouvelles identités, des nouvelles tribus et des gangs de « semblables » : voici les nouveaux territoires de la socialité en réseau.

6 – Le retour et le recours à la notion d'aliénation me paraissent problématiques surtout à partir du moment où tu fais de l'appropriation privée la source de cette aliénation. La dévalorisation des métiers et particulièrement celui d'enseignant ne correspond pas simplement ni même essentiellement, à une perte du sens de ce travail, mais aux conditions objectives de production et de réception actuelles des savoirs. Parler en terme d'aliénation c'est aussi tracer une perspective en terme de réappropriation, ce qui n'a plus grand sens à partir du moment où une très grande partie de ce qui serait réappropriable n'a pas d'intérêt ou pourrait même être supprimé du jour au lendemain. À ce niveau, on peut dire que l'idéologie progressiste-techniciste donne l'illusion d'une facile appropriation — d'abord individuelle d'ailleurs — des éléments de la puissance sociale par l'intermédiaire de l'utilisation outils technologiques, surtout dans la vie quotidienne alors qu'ils fonctionnent le plus souvent que comme simple prothèse pour gagner du temps, pour maintenir ou créer des liens sociaux, pour se donner des impressions de liberté ou d'aventure.

C'est peut être dans cette dimension d'asservissement que peut resurgir et servir l'idée d'aliénation ; aliénation d'autant plus redoublée quand la critique de la technoscience intégrée à la dynamique du capital devient un élément d'une critique plus large de la vie mutilée (je préfère Adorno à Sartre). En effet, l'homme semble avoir face à lui l'ensemble des possibles, mais ils lui sont étrangers. Or ce constat est trompeur car il ne peut justement pas déboucher sur une réappropriation qui penserait que tout est possible comme si la dynamique du capital, semblant sans limite, son renversement pouvait produire une appropriation sans limite !

Le danger du concept d'aliénation devient alors plus grave puisque son dépassement pourrait être conçu en tant que développement illimité de tous ces possibles, ce qui est aussi une utopie du capital.

Pour rester opératoire, il me semble que le concept d'aliénation implique des individus qui ne soient pas captés immédiatement par ce qu'ils font ; des individus qui soient dans l'écart par rapport à leur activité salariée de façon à pouvoir affronter le capital sans vouloir en prendre possession ou la direction. La domination réelle du capital à accéléré ce processus (cf. les « autonomies ») mais en détruisant au passage ce qui fut l'hypothèse programmatique de la classe ouvrière (le pouvoir ouvrier) sans qu'apparaissent clairement de nouvelles perspectives. Ainsi, aujourd'hui cet écart est reconduit et même développé comme on le voit dans les grèves « desperados » de salariés qui menacent de faire sauter leurs usines ou qui cherchent à monnayer leur licenciement plutôt qu'à lutter pour faire redémarrer leur entreprise, mais il est aussi recouvert par une capitalisation accrue de toutes les activités humaines : il n'y a plus de « bases arrières » pour organiser la « résistance », les espaces oppositionnels sont très rapidement intégrés (ils ne peuvent se constituer en zones libérées c'est-à-dire en territoires) ou alors ils n'existent vraiment que dans les espaces que dégagent les mouvements de lutte tant qu'ils ne se fixent pas.

Il me semble qu'il y a, de plus, une impossibilité à parler sur un même niveau d'aliénation d'un côté et de contradiction de l'autre. En effet, la première renvoie à quelque chose qui n'est pas située précisément (par exemple l'aliénation qu'est le travail en tant que tripalium et l'aliénation spécifique du travail salarié), alors que la seconde est toujours spécifiée historiquement. Si le concept d'aliénation ouvre bien sur une conception non classiste, ce que tu mets en évidence p. 138, il ne permet pas une traduction précise en termes de luttes, ce que les concepts de domination ou de subordination permettent, me semble-t-il, parce qu'ils renvoient à une conjonction possible entre conditions subjectives (la révolte, l'insubordination ou même la résistance) et conditions objectives (une crise de reproduction des rapports sociaux ou une mise en danger de la planète due à la domination sur la nature extérieure).

Si la contradiction de l'exploitation n'est plus première c'est pour deux raisons. D'abord parce que dans la domination réelle du capital, la théorie de la valeur de Marx ne tient plus, comme il le signalait lui-même dans le « Fragment sur les machines » et ensuite parce que le salariat d'aujourd'hui n'est plus celui de la classe ouvrière productive, mais d'un salariat généralisé. C'est pour cela que la notion de domination du capital par le biais du salariat me semble bien convenir tout en sachant qu'elle ne se limite pas au domaine d'une production qui n'en est plus le centre mais au niveau de la reproduction d'ensemble des rapports sociaux. D'où le caractère central des luttes des salariés de ces secteurs de la reproduction (transports, hôpitaux, enseignement, communication, culture).

En ne comprenant pas cela tu essaies de trouver chez ces salariés, en particulier enseignants, une sorte de lutte existentialiste (ta référence marquée à Sartre n'est pas anodine) qui rendrait impossible tout lien avec les luttes expropriatrices (celles qui seraient liées à l'exploitation), tout « interclassisme ». Cela est logique puisque tu continues à parler en termes d'antagonismes de classes alors que les mouvements sont de plus en plus, non pas interclassistes, mais a-classistes, soit sous la forme d'une sorte de tension vers la communauté (symbolisée par le « Tous ensemble » de 1995), soit sous la forme d'une impossibilité à affirmer aujourd'hui une quelconque identité ouvrière alors qu'on se trouve pourtant dans une époque de déferlement de revendications identitaires. C'est le cas des dernières luttes ouvrières du type de celle de Continental qui, finalement, prennent acte de cette nouvelle réalité (pour eux l'équivalent de la fin d'un monde, le monde ouvrier) et affirment le droit à un revenu, en l'espèce une sorte de rente, indépendante du travail. En cela, elles trouvent des points objectifs de convergence avec le mouvement des chômeurs de 199817, mais en dehors de toute perspective collective de subversion de la société capitalisée. C'est pour cela que l'idée de revenu minimum garanti (ou d'existence) n'a pas progressé massivement dans les têtes, même comme étape intermédiaire vers cette subversion.

7 – L'ensemble de ton analyse du mouvement universitaire se fait en dehors de toute référence aux luttes dans l'école en général et particulièrement aux luttes de l'année dernière dans le primaire alors que le slogan : « De la maternelle à l'université tous mobilisés » a été porté par la coordination des collectifs « École en danger » et repris par la cnu. Certes malgré des liens et la tentative de réaliser une manifestation commune hors syndicats le 10 mars 2010, il y a eu un relatif échec de ce côté, mais ne pas en parler dans un bilan, n'est-ce pas aussi entretenir la division hiérarchique (sur les rapports entre hiérarchie dans l'institution et lutte, cf. annexe III) au sein du mouvement que tu dénonces justement par ailleurs ?

J. Wajnsztejn

 

 

ANNEXES

Annexe I : Mouvement de lutte et « lutte »

À lire les derniers échanges occasionnés par mon envoi, j'ai l'impression qu'il y a confusion entre ce qui relève de la lutte individuelle ou de la résistance quotidienne d'un côté et ce qui relève de la lutte au sein d'un mouvement (un « mouvement de lutte » comme on dit). Cette distinction n'étant pas faite, on en arrive à une situation où tout le monde se met à vouloir prouver qu'il lutte et donc accessoirement à accuser les autres de ne pas lutter ou pas assez ou bien de se gaver de mots ou encore de prendre les choses trop à la légère. Il y a alors des personnes qui accusent et d'autres qui cherchent à se défendre de ces accusations sans s'affronter aux difficultés réelles qui guettent toute action qui cherche à s'inscrire dans la durée alors que le temps de la « lutte-mouvement » est justement un temps discontinu fait d'avancées et de reflux. Ce n'est pas pour rien qu'il existe des syndicats et des fédérations de parents et des partis politiques etc. Tous ont pour tache quotidienne mais menée sur le long terme, d'aplanir le temps, de faire qu'il n'y ait ni haute ni basse pression. C'est ce qui fait qu'ils sont si présents quand il ne se passe rien et si absents quand il se passe quelque chose. Mais ce n'est pas parce qu'ils cherchent artificiellement à aplatir les choses dans le sens de la paix sociale au meilleur prix pour leurs mandants qu'il nous faut faire de même, mais cette fois ci dans l'autre sens en faisant comme si nous étions toujours dans un temps fort. En faisant comme si la légitimité de nos actions était telle qu'elle nous permette de passer outre certains principes (j'insiste, ce ne sont pas des règles démocratiques formelles qui sont en jeu ici). J'ai essayé dans mon intervention précédente de distinguer les deux aspects, mais peut être n'ai-je pas été assez clair. Ce n'est pas la lourdeur des procédures de décision « d'École en danger » (une ag régionale ou nationale se convoque et se réunit très facilement quand la nécessité pratique s'en fait sentir) qui est en question, mais la consistance et l'intensité actuelle des luttes, bien trop légère à notre goût à tous. Le problème n'est donc pas celui du formalisme démocratique à respecter ou non, mais de savoir ce qu'on représente. Pour moi, on ne représente plus qu'une expérience de lutte collective et un réseau d'information et de discussion. C'est déjà pas mal. Cela n'empêche pas certains collectifs d'agir au nom de leur collectif et donc de reprendre tout à la base. C'est même à mon avis la seule chose à faire et qui pourrait redonner vie à une coordination des collectifs qui s'est justement formée comme cela, à partir de la base et non à partir du sommet. D'ailleurs il n'y a jamais eu de « collectif des collectifs » contrairement à l'expression employée par certains. La structure pyramidale traditionnelle des organisations n'a pas été reproduite dans « École en danger » et c'est d'ailleurs ce pourquoi j'y ai participé. La volonté de coordonner les collectifs relève certes d'une volonté politique, mais concrètement, la coordination a rempli des taches essentiellement techniques à partir des décisions prises en ag nationale… avec les collectifs présents et sûrement pas, effectivement, avec les collectifs absents n'ayant pas fait parvenir de propositions pour l'ag en question. Adopter cette démarche c'est se refuser à apposer des signatures qui n'engagent que soi-même ou presque. Ce n'est d'ailleurs pas une question de quantité. On peut très bien prendre une décision à huit ou dix dans un collectif et être totalement isolé par rapport au contexte général et au niveau de mobilisation. L'exemple du collège de l'Estaque dans les Bouches du Rhône qui partit à l'abordage mais se trouva fort dépourvu devant la réception des collectifs du Rhône est un exemple malheureusement trop parlant pour ne constituer qu'un simple cas particulier. Je ne dis pas tout ça pour m'opposer mordicus à une signature, mais je ne vois pas l'intérêt de déposer un logo de plus au bas d'un texte comme si c'était une action de lutte « École en danger » alors qu'il existe et circule déjà une pétition initiée par « École en danger » dont le texte comprend justement une référence explicite à la lutte contre base élève. Je pose une question : cette pétition qui avait été décidée à la dernière ag de Toulouse, qui s'est chargé de la faire circuler et de la faire signer parmi les intervenants actuels pour une signature sur un autre appel ? Dans l'état actuel des forces, on a parfois l'impression d'actions lancées mais jamais terminées. Comme rien n'apparaît vraiment satisfaisant vu les enjeux, il est alors tentant de zapper dans une fuite en avant vers de nouvelles actions peu discutées alors qu'on peine à réaliser celles qui l'ont été et ont été retenues. Je dis cela d'autant plus facilement que j'ai participé à l'opération pétition par pure « discipline » puisque je suis opposé par principe à ce genre de pratique propre aux grandes organisations bénéficiant de relais médiatiques.

J. Wajnsztejn

 

 

Annexe II : Mouvement et syndicats (petits et gros)

Il ne s'agit pas de faire une partie de ping pong entre un ou des militants syndicaux (cnt et sud) qui se pensent aussi militants de la lutte et un militant qui se revendique simplement militant en résistance et s'organise collectivement en conséquence avec d'autres individus en résistance. Les syndicats sont légitimes disent certains mais faut-il encore dire pourquoi, sinon on ne comprend pas clairement les raisons qui les amènent à faire ceci ou cela. Or il me semble que les explications données souffrent de ce manque. En effet, pour ces mêmes personnes, il faudrait faire la distinction entre la base qui est honnête et généreuse et le sommet qui est « bureaucratique », « vendu », « acheté », « ramolli », « loin de la réalité du terrain », chacun pouvant choisir le qualificatif approprié suivant le contexte du moment ou le secteur en question. Cela produirait un décalage dans l'action de terrain où la base exprimerait une position souvent plus dure que les directions syndicales. Ce n'est pas faux, mais je trouve que cette description ne vaut pas explication. Même si on peut retrouver une telle différenciation entre base et sommet, surtout en période calme d'ailleurs, quand les minorités de gauche tempêtent contre la frilosité des directions, et aussi au début de la lutte quand les directions n'ont pas encore bien pris « la température » sociale, ce moment ne dure pas longtemps. En effet, quand une lutte s'affirme et surtout qu'elle est contrôlée directement par ceux-là même qui luttent, les minorités dont j'ai parlé (au sein des grandes centrales) ou les petits syndicats (qui sont eux-mêmes l'équivalent d'une minorité qui s'est faite artificiellement majorité), l'heure des choix sonne alors. Mais ce choix est quasiment cornélien. En effet, le militant de l'organisation syndicale doit faire ce choix dans le cadre d'une prédétermination qui est celle de son appartenance syndicale, prédétermination qu'il confronte à la détermination crée par la pratique de lutte immédiate qu'il est en train de mener. Le choix n'est donc pas facile. Quand il est dans le secteur privé, on sait que le premier geste de révolte consiste souvent à déchirer sa carte syndicale (combien de militants cgt ne l'ont-ils pas fait… avant de la reprendre, pour la plupart, trois ou six mois après), mais quand c'est dans le secteur public, le choix n'est guère qu'entre changer de syndicat car beaucoup de personnes, de gauche plutôt majoritaire dans le secteur, ne conçoivent pas de ne pas être syndiqués (d'autant que le syndicat fait un peu fonction de sécurité sociale dans ce secteur). On peut même dire que c'est cela qui explique l'apparition de nouveaux petits syndicats. Par exemple à Lyon, les fondateurs de la nouvelle cnt (Vignoles) sont des postiers qui étaient à la cgt en 68 puis à la cfdt dans les années 70 et enfin à la cnt à partir des années 90, mais où aller ensuite après cette sorte de fuite en avant ? On imagine bien alors que celui qui a eu ce parcours politico-syndical hésite à franchir le pas d'une démarche plus autonome, celle des comités de lutte qui ne durent que le temps de la lutte. Mieux vaut un isolement à plusieurs pense-t-il. La situation est guère différente à sud issu d'une scission à l'intérieur de la cfdt et qui, hormis dans les secteurs où elle représentait une scission majoritaire (poste et télécoms, sncf) n'est qu'un syndicat croupion qui malgré son discours plus radical ne fait que reproduire les schémas de son ancienne maison mère, à savoir développer un syndicalisme sans base qui appelle à des actions et compte ceux qui le suivent. sud est ainsi passé « spécialiste » du dépôt de préavis de grève quand aucune institution syndicale « légitime » n'appelle à la grève. Cela n'a aucun effet d'entraînement mais « ça ne mange pas de pain » comme dit l'expression populaire. Dans l'Éducation Nationale, la situation est caricaturale car les militants de ces deux syndicats ne regroupent souvent que 1 ou 2 militants au maximum du même syndicat par établissement, ce qui fait qu'en période de lutte soit ils se fondent dans des comités de grève soit ils ne sont que la voix de leur syndicat qui module la même note avec ses petites différences qui font le charme de la concurrence. Ah le doux gazouillis sur « la casse du service public » qui a été entonnée par la cgt à l'origine, il y a plus de 20 ans et qui maintenant, est repris par la cnt puisque les anarchistes d'aujourd'hui sont pour l'intervention de l'État et l'augmentation infinie du nombre de fonctionnaires18. Pour le dire autrement, dans un tel cas, c'est-à-dire dans un « petit » syndicat, le militant a enfin éliminé la question obsédante de la différence entre la base du syndicat, toujours honnête et le sommet, toujours plus ou moins « pourri » et en passe de « trahir ». En effet, ici, la base est tellement réduite qu'il n'y a pas de possibilité de conflit avec le « sommet ». On est « petit chef » tout de suite.

J'en reviens au pourquoi du début de mon message. Le syndicat est le défenseur historique, devenu comme naturel, du salarié à partir du moment où celui-ci a une certaine conscience de la défense de ses intérêts. Mais ces intérêts peuvent être très divers. Ils peuvent être catégoriels avec, dans l'en par exemple, des syndicats majoritaires qui se présentent ouvertement comme défendant la hiérarchie à l'intérieur du corps enseignant ( les vieux plutôt que les jeunes avec le système de mutation et l'avancement à l'ancienneté, les agrégés plutôt que les certifiés avec l'acceptation explicite des inégalités de situation pour un même travail), très généraux comme la défense du statut (là aussi le consensus peut s'établir avec le choix de défendre un concours unique pour tous plutôt que la diversité des modes d'accès permettant par exemple d'intégrer progressivement auxiliaires ou contractuels), un peu plus politique comme la défense du service public (encore le consensus même si certains, à la cfdt ou à l'unsa estiment que le service public doit se rénover) et enfin plus politiques comme dans le refus concret des plans de réforme ou de la mise en place de mesures jugées scélérates (le fichier base élèves). Dans ce dernier cas, comme dans celui de l'aide personnalisée, il s'agit alors de tout autre chose que d'agiter en public des slogans « révolutionnaires » du type « grève générale » ou « grève reconductible » et de continuer quotidiennement dans son coin (c'est-à-dire sur le terrain), à reproduire la structure en place par les petits arrangements qui font tourner la boutique. Aucun syndicat, quel qu'il soit, ne peut revendiquer que le fonctionnaire puisse s'opposer à sa fonction de fonctionnaire. Un fonctionnaire c'est fait pour fonctionner et cela explique toute l'histoire du syndicalisme enseignant. Les « hussards de la République » dont certains se réclament encore aujourd'hui étaient des personnes parfaitement conformes à l'État de la iiie République, son éducation civique, sa laïcité, son méritocratisme et cela quelle que soit la position politique personnelle des individus. Le courant syndicaliste révolutionnaire est ainsi resté assez fort à l'intérieur du syndicat des instituteurs sans que cela ne pose problème et l'existence du courant « École émancipée » au sein de la fsu est encore là pour montrer que chacun a sa place à condition de savoir serrer les rangs quand ça chauffe. Ainsi, à Lyon, les « meneurs » syndicalistes participant au début du mouvement pendant l'hiver 2008-2009 étaient-ils soit de l'École émancipée (sniupp et snes) soit de la cgt éducation assimilée à une tendance « dure » au sein de la confédération… mais ça n'a rien changé. Quand les « gauches » de ces organisations se sont retrouvées menacées par des mouvements qui remettaient en cause leur pratique, elles ont immédiatement rejoints les positions « centristes » de leurs directions nationales. Mais l'action des enseignants « désobéisseurs » aujourd'hui est fondamentalement différente. Nous ne sommes pas sous Vichy et pourtant ils désobéissent, les vilains canards ; ils ne tiennent pas compte des « conditions objectives » (la fsu, la cgt) ou de la nécessité d'élargir le combat (la cnt et sud). Ils poussent à la radicalité de l'action sur ses propres bases.

Il en est de même avec « École en danger » dans la mesure où, comme le mouvement des désobéisseurs, son action ne correspondait pas à une logique syndicale puisqu'une de ses caractéristiques résidait dans le fait de mettre « à égalité » les enseignants et les parents au sein de collectifs. Les actions comme les « nuits des écoles » ainsi que certaines occupations des locaux, montraient que l'imagination n'était pas en reste et que de nouvelles formes de luttes étaient envisageables et recevaient même un certain écho de la part des médias. Toute dimension corporatiste même recouverte d'un vernis radical se trouvait aussi court-circuitée parce que, tout d'un coup, il fallait composer avec des gens différents, qu'il fallait discuter et sortir des sentiers battus et surtout des éternels slogans qui tournent à vide. Cela n'allait pas sans poser problème malgré l'union sacrée de façade qui est apparue à Lyon en janvier 2009. Et là il faut revenir sur une histoire édifiante. À l'origine, la première ag nationale « d'École en danger » à Lyon, avait regroupé un large éventail de personnes y compris des militants de base du sniupp, des membres de la cnt et de sud. Tout semblait marcher sur des roulettes puisqu'à Lyon en tout cas, les coups étaient essentiellement dirigés contre l'État et les syndicats majoritaires (cf. une première ag d'après grève à la Bourse du travail qui vit sud et la cnt faire le forcing contre la fsu pour bien montrer qui était maître du terrain). Mais peu à peu, les individus engagés au simple titre « d'École en danger » s'aperçurent du double langage tenu par ses organisations. En effet, comment d'un côté faire le forcing pour montrer qu'on est à la pointe du combat (« avec le mouvement » comme disent encore sud et la cnt aujourd'hui dans leur polémique avec l'un des porte-paroles des enseignants désobéisseurs pour montrer qu'ils font bien partie du mouvement)… et en même temps signer des appels de l'Intersyndicale qui s'opposent aux décisions des ag nationales (cf. Le gag triste de la grande journée d'action du 10 mars 2009 sabotée par un appel de l'intersyndicale pour le 11 !). Déjà, la deuxième ag nationale « d'École en danger » avait été complètement sabotée à Paris (manque de préparation complète des parisiens de la cnt qui n'y accordait sûrement pas une aussi grande importance que ceux de Lyon, attitude goguenarde de ceux de sud). À Lyon, où la cnt et sud avaient vraiment foncé dès le départ au sein du mouvement, ils disparurent progressivement devant la difficulté à maîtriser un mouvement qui ne correspondait pas à leur stratégie de la grève reconductible (un leitmotiv rabâché quel que soit le rapport de force, afin de se distinguer des grèves-bidons des grandes centrales), à leur incapacité à s'adapter à une perspective de lutte axée sur l'alliage enseignants-parents19 et surtout leur incapacité à maîtriser un mouvement qui s'affirmait comme indépendant (comme celui des désobéisseurs de son côté). Mais à la troisième ag nationale, de Montpellier, le groupe cnt de Montpellier pour des raisons locales sans doute, participa pleinement à l'organisation des débats mais sans laisser de perspective comme si c'était un chant du coq, un dernier sursaut. Et effectivement il en fut ainsi. On n'entendit plus guère parler de la cnt dans « École en danger », au quotidien comme aux ag suivantes de Dijon puis Toulouse et guère plus au dehors malgré une présence, limitée toutefois, aux procès d'Erwan à Marseille et d'Alain à Toulouse début juillet. La cnt était déjà passée à autre chose. Seul un militant de Montpellier continua à se manifester... pour défendre l'intégrité de l'action de son syndicat. Quant à sud, ce fut encore pire puisqu'on s'aperçut de pratiques de rétention d'information et de diverses manœuvres visant à gêner toute progression de la coordination nationale « École en danger » qui ne put ainsi mettre en place des porte-paroles nationaux qu'à partir de la 4ème ag nationale de Dijon. Les membres « d'École en danger » qui demandèrent une réunion pour éclaircir tout cela et demander des explications à sud n'eurent droit ni à réunion ni à explication. Tout ça pour dire quoi. Pour dire qu'il ne faut surtout pas s'illusionner et se bercer de phrase comme quoi les luttes seraient complémentaires entre d'un côté les désobéisseurs ou les actions de parents et enseignants « d'École en danger » et de l'autre les actions syndicales « d'action directe ». Il n'y a pas complémentarité car ces actions ne rentrent pas dans la même logique et ceux qui participent aux unes, ne participent pas aux autres. À mon avis, il y a complémentarité dans des luttes qui ont leur propre objet pour but et non une dimension stratégique qui sacrifient souvent le court terme au long terme, le résultat immédiat à l'instrumentalisation et la « capitalisation » de la lutte (la récupération, la « pêche à la ligne ») Dans cette mesure, je pense qu'il y a complémentarité entre les luttes des désobéisseurs et celles qu'ont mené les personnes engagées dans « École en danger » et qui peinent aujourd'hui à poursuivre cette lutte, complémentarité aussi avec les militants de resf qui se fixent des buts qui recoupent exactement ceux des opposants actifs à « Base élève », sans pour cela en appeler tous les jours à la grève générale ou à la révolution. Une complémentarité qui ne se transforme d'ailleurs pas mécaniquement en unité et il faudrait aussi se pencher là-dessus.

Bien sûr que les désobéisseurs sont actuellement à la pointe de la lutte parce qu'ils enfoncent un coin là où ça fait mal, dans la légalité républicaine, en en appelant à « l'insurrection des consciences » et ils révolutionnent les moyens d'action traditionnels parce que leur action, même si elle s'inscrit dans un cadre collectif part d'un refus individuel devant ce qui leur paraît inacceptable. En fait, ils inversent la démarche traditionnelle de l'action syndicale qui est de proposer des actions collectives en cherchant les plus petits communs dénominateurs qui amèneraient les personnes concernées à passer à l'action. Cette forme d'action traditionnelle avait encore une certaine efficacité quand le cadre rigide de la fonction publique impliquait une certaine communauté de statut et de destin à ses fonctionnaires, mais plus à l'époque de l'individualisation et de l'avancement au mérite, plus à l'époque ou en même temps que le cadre réglementaire se durcit avec des contraintes générales plus fortes, les possibilités d'individualisation des parcours laissent des marges individuelles de promotion carriériste beaucoup plus importantes. Cette efficacité de base est aujourd'hui battue en brèche et l'action syndicale ne sait plus comment gérer les révoltes ou refus individuels. Comment répondre par exemple, aux pratiques de plus en plus courantes de harcèlement moral contre les salariés ou fonctionnaires les plus réactifs ? C'est sûr qu'il faut trouver de nouveaux moyens quand c'est tout le rapport entre individu et collectif qui se trouve bouleversé par la transformation actuelle des rapports sociaux. Or, si les méthodes de lutte employées par les désobéisseurs sont radicales, elles ne portent l'attaque que dans un seul secteur de l'éducation. Comment faire alors pour lutter non pas de façon complémentaire mais de façon commune comme l'invoquait le mot d'ordre de l'année dernière d'une lutte « de la maternelle jusqu'à l'université » ?

J. Wajnsztejn

 

 

Annexe III : Le corporatisme contre le Mouvement

Cette petite intervention est avant tout une réponse à une pétition que la Coordination nationale des universités (cnu) a fait circuler sur les listes mais je pense qu'elle peut aussi intéresser nos listes de discussion ainsi que Le Collectif anti-hiérarchie. Aujourd'hui beaucoup de personnes parlent de résister, mais je pense qu'il y a surtout besoin de se révolter et parfois ce qui passe sur la liste me hérisse ou même me révolte. Dans ce dernier cas, je veux parler de la pétition sur l'agrégation, en provenance de la cnu.

Pour ses auteurs, « la lutte » ça va consister à défendre la « pureté » d'un concours d'agrégation qui ratifie le fait extraordinaire (unique dans le privé comme dans le public) qui ouvre vers un statut permettant de travailler moins que les autres pour un même travail (15h au lieu de 18h)… en touchant un salaire beaucoup plus élevé ! On comprend bien l'intérêt qu'ont tous les membres de jury, grassement payés pour cette opération (mais si, mais si) à défendre leurs prébendes au cas ou progressivement, comme cela est parfois envisagé ce genre de concours propre à la France serait supprimé, mais alors qu'ils assument (ne pas oublier que ce sont des « volontaires » alors que chaque enseignant de base est obligé d'évaluer des examens qui ne sont qu'à peine défrayés) et ne nous parlent pas de la scientificité de leur évaluation face à la subjectivité d'une évaluation de l'éthique républicaine qui, de toute façon est toujours implicitement contenue dans l'évaluation orale des concours (c'est à ça que servent les petites questions perfides qui suivent l'exposé du cours magistral par le candidat). Pour ce qui relève de ce que je connais, la scientificité de l'évaluation du savoir philosophique dépend plus de la capacité ou non du candidat à suivre ou se procurer les cours de la Sorbonne seule université en France à délivrer deux semestres de préparation (un relevé des origines sociales des élèves passant l'agrégation externe plutôt que le capes serait d'ailleurs extrêmement édifiant), ou à parler avec plus de ferveur de Kant plutôt que d'Hegel et j'en passe. Quant à l'agrégation de sciences sociales, sait-on que dans un programme qui comprend aussi bien le changement dans les rôles familiaux, que la validité actuelle des thèses de Marx ou Weber ou Keynes, il tombait parfois, parmi 30 sujets d'oraux pour les admissibles, 20 sujets d'économie financière qui comme chacun sait aujourd'hui est hautement scientifique et apte à analyser les crises et surtout à y répondre !

Pour donner un exemple de la « scientificité » de ce genre de mascarade, je citerai un exemple certes un peu vieux de 1996, mais significatif : « Peut-on se passer d'une banque centrale ? », problématique hayekienne qui ferait de Trichet le directeur de la banque centrale européenne, un dangereux gauchiste.

Comme l'a relevé un mail précédent sur la liste, ce genre de pétition relève du plus pur corporatisme et entérine en plus un système méritocratique qui est à la base de la reproduction des inégalités et même de leur croissance actuelle. Un système que pourtant, peu ou prou, la majorité des enseignants cautionne, y compris parmi ceux qui se disent « en lutte ». En lutte contre quoi telle est la question qu'il faut se poser. Pour moi, et à partir d'une pratique de terrain l'année dernière, il ne fait pas de doute que la défense de ce système (c'est là toute la limite de l'idéologie du « résister ») est ce qui nous a coupé d'un grand nombre de parents qui sont, au mieux, restés favorables mais passifs dans les luttes de l'année dernière. Ceci ajouté à une insistance du pouvoir en place, via les médias, à mettre en évidence le caractère corporatiste et finalement profondément conservateur du mouvement ne pouvait que nous affaiblir. Sauvez « l'école en danger », c'est d'abord mettre ce système en danger, prendre le risque de ne plus soutenir ce qui apparaît être un moindre mal, abandonner le double langage20. Pour cela et surtout en période de repli du mouvement, cela passe, à mon avis et c'était un peu le but de la liste de discussion, par la mise au centre de l'analyse des contradictions spécifiques de l'école depuis les réformes des années 60-70 et ne pas se contenter de condamner les dérives des mesures néo-libérales contre les « valeurs »21 de la République.

J. Wajnsztejn

 

 

Annexe IV : Sur la tendance à l'immédiatisation de la formation des enseignants

Depuis les années 80, les réformes successives de la formation des enseignants manifestent la même logique que celle qui est à l'œuvre dans tous les secteurs de la formation, à savoir une tendance lourde à l'immédiateté, c'est-à-dire à l'affaiblissement, à la résorption, des médiations de l'ancienne institution de l'éducation (durée longue des apprentissages, place centrale des disciplines académiques et des savoirs scolaires, un corps volumineux de professionnels-fonctionnaires encadrant et administrant nationalement et localement les établissements — cf. les écoles normales — inculcation de l'idéologie républicaine, etc.).

La création des iufm en 1989/91 n'a marqué qu'une accélération et une généralisation du processus, elle n'est pas à son origine. Par exemple, le rapport Bancel (du nom du recteur qui, à l'époque, présidait la commission de création des iufm au men) affirmait fortement la tendance à l'autonomisation des apprentissages (des élèves et donc aussi des maîtres) et à l'immédiatisation du rapport au savoir puisqu'il définissait la mission des iufm comme un lieu « d'apprentissage à la gestion des apprentissages ». Nous étions donc bien dans l'injonction du second Colloque de Caen de 196622 pour « l'apprendre à apprendre » (avec des participants comme Bertrand Schwartz, un promoteur majeur de « l'apprendre à apprendre » et de la pédagogie par objectif, mais aussi comme Geismar ancien dirigeant du snesup en mai 68 !).

La réforme actuelle dite de la « mastérisation » a fait franchir au dispositif une étape de plus. Outre, bien sûr, « les économies d'échelle », il s'agit de placer ces « gestionnaires d'accélération d'apprentissage » que deviennent les formateurs-enseignants23 dans la capitalisation des activités humaines… des élèves.

Que les masters « formation des maîtres » que les universités viennent de mettre en place (dans des conditions ultra précaires et des délais d'enfer) deviennent le diplôme nécessaire aux concours de recrutement est cohérent avec cette logique (chaotique et à très courte vue) d'une réduction de la duré de formation initiale. Placer les nouveaux recrutés dans les classes directement relève de cette conception d'un formateur gestionnaire d'apprentissages autonomisés en prise directe avec les savoirs-informations, avec les savoirs-faire numérisés, avec l'apprentissage de procédures davantage que de contenus. C'est ce que j'analysais dans mon article « L'autonomisation des apprentissages dans la société capitalisée » qui se concluait ainsi :

« Dans la société capitalisée d'aujourd'hui, celle où, pour « créer de la valeur », le système productif s'est très largement affranchi de son ancien assujettissement à l'exploitation de la force de travail, l'internisation d'apprentissages permanents et immédiats dans toute activité humaine constitue une condition nécessaire à son existence et à sa reconnaissance en tant que telle. Ainsi en va-t-il du produit. Pour circuler comme produit, il doit contenir son apprentissage : non seulement de ses procédures, mais aussi de ses conditions d'exécution ; de son opérationnalisation normalisée, « préformatée » comme le dit maintenant la cybernovlangue. Sa puissance et son acte ne font qu'un.

Un logiciel contient un certain quantum de mémoire virtuelle, et cette mémoire reste limitée à l'activité dont il doit permettre la gestion, c'est-à-dire la conjonction dans un seul et même moment d'un apprentissage et d'une tâche. Dans le « temps réel » de l'informatique, réaliser une activité c'est faire un apprentissage « actualisé ». Seuls des savoirs-informations, autonomisés de l'expérience humaine et de la connaissance, peuvent être utilisés pour y parvenir. Ces savoirs-informations étant des objets désubstantialisés24, séparés de la temporalité générique que contient toute activité humaine, ils peuvent alors être combinés à l'infini par le calcul informatique. Une combinatoire en « générant » d'autres, nous sommes ici en présence d'un simulacre d'engendrement. »

Dans la critique de ces processus, il ne faut pas se tromper de point de départ. Il convient d'appliquer la méthode de Marx de « l'analyse concrète » : à savoir la description de la manière dont les individus mobilisent concrétement leurs capacités, savoirs, expériences, etc. pour « assurer » leur fonction, leur emploi, leur place. Aujourd'hui, ces opérations, majoritairement cognitives (minoritairement physico-motrices pour ce qu'il subsiste de « travail manuel ») dans les fonctions, sont toutes organisées et régulées informatiquement ; depuis le simple logiciel utilisé par l'employé qui relève les compteurs électriques avec son ordinateur portable, jusqu'aux systèmes-experts qui assistent les décisions stratégiques du management mondialisé.

Transposé sur l'activité de l'enseignant cela donne les « référenciels de compétences » des iufm et autres « manuel du geste juste dans la classe ». Assisté de ces prothèses, le formateur-enseignant mastérisé s'auto-forme en continu face aux « difficultés » rencontrées ; qu'il s'agisse d'une « incivilité » ou d'un « bug » chez un apprenant qui ne trouve pas la bonne procédure d'apprentissage.

Dans ces conditions, techniquement, la formation des maîtres peut encore se réduire ! Ce n'est que pour des raisons politiques qu'elle ne va pas plus loin. Il en est de même pour le bac : techniquement les dispositifs de contrôles continus sont prêts depuis 30 ans dans les ordinateurs du men ; ce n'est que pour des raisons politiques, parce que le bac — « fait partie des grands récits » de l'histoire de France comme le rappelle un historien dans le journal Le Monde du 16/06/2010 — qu'il n'a pas été supprimé, malgré son côut.

Dans leurs luttes « pour conserver leur ancienne formation » les collectifs d'enseignants devraient distinguer des époques dans « les acquis ». L'agrégation, fleuron de l'université bourgeoise, n'a pas la même histoire que les iufm, qui eux, sont le produit de l'école de masse dite « pour tous ». En effet, dans l'utopie de certains promoteurs historique du modèle de la formation, le contrôle continu et la gestion assistée des apprentissages autonomisés devraient supprimer les examens et, pour certains — dont le polytechnicien B. Schwartz — les concours.

Il ne s'agit donc pas de retour à « une formation sur le tas qui était jadis réservé aux auxiliaires » comme le pense J. Wajnsztejn, mais d'un même processus qui touche « tous les acteurs ». C'est là justement une distinction fondamentale entre institution de l'éducation et dispositif de formation25 : alors que l'institution de l'éducation fut une réalité de classe, la formation est une réalité de masse, elle se veut « démocratique » etc. (et maintenant, pour le PS, caritative, cf. le « care ») !

Jacques Guigou

 

Notes

1 – Paris, La Ville Brûle, 2010, 176 pages, 13 euros.

2 – Cf. notre brochure Interventions no 9 disponible sur le site de la revue Temps critiques : http://tempscritiques.free.fr. Cette critique avait déjà été développée dès le no 8 de mars 2009 : « À propos des luttes actuelles dans l'Éducation nationale ».

3 – Dans « Mondes du travail et espace public. Le faire et l'agir ? », disponible sur le blog : http://journcritiques.canalblog.com/, Alexander Neumann, de Sarrebruck, insiste lui aussi sur « la subjectivité superflue qui se manifeste partout. Elle engage des quêtes de sens et une critique qui ne se réduit pas aux principes organisateurs de la société bourgeoise. Elle poursuit une dialectique négative… » Mais Neumann ne distingue pas clairement « espace public bourgeois » et « espace oppositionnel » puisqu'il maintient le terme d'espace public en employant la formule « d'espace public oppositionnel. C'est bien ça qui fait question à partir du moment où la société capitalisée (et non pas bourgeoise, même si le sens du mot est différent en allemand) à complètement modifié la notion d'espace public en la privatisant et finalement en réalisant l'interpénétration des sphères publiques et privées. Dit autrement, elle a détruit les perspectives d'autonomie et la notion de société civile, comme celle de citoyenneté sont devenues inopérantes. C'est pour cela que les nouveaux espaces oppositionnels que Neumann dégage à partir des luttes dans l'université, les quartiers et les lieux de travail ont bien du mal à apparaître. Soit ils interviennent et se retirent en pratiquant une sorte de guérilla (blocage des flux, fauchage d'ogm, attaques de sièges sociaux d'entreprise, déclaration publique de désobéissance), soit ils cherchent à fuir l'espace public en faisant de leur clôture la preuve de leur opposition (le milieu des squats radicaux), soit encore ils cherchent à faire de leur opposition une nouvelle norme (« marche des fiertés », genrisation de l'orthographe, lois protégeant les particularismes et les identités, etc.).

4 – C'est toute l'ambiguïté de « L'Appel des appels » qui ne propose que la confirmation de la toute puissance des institutions à l'ombre de l'État et pour cela s'adresse à toutes les organisations de la gauche bien pensante et aux citoyens prêts à « s'insurger » à l'intérieur d'une légalité républicaine jamais questionnée.

5 – Cf. Le supplément au no 14 de Temps critiques : « Les luttes étudiantes et lycéennes. Mise en perspective (1986-2006) », disponible sur le site de la revue à l'article184.

6 – « Prendre l'aliénation comme point de départ pour faire émerger des lignes de difficulté propres au quotidien de chacun cette démarche n'est pas suffisante pour permettre une action collective qui se voudrait oppositionnelle. Pour cela il faut comme le dit Hoss une insurrection des sens et du sens qui en réalité marque un écart par rapport à la réalité vécue. Sans cette écart on sera toujours réduit à aménager la souffrance collectivement ou pas. Par ailleurs, c'est cet écart qui produit les subjectivités dissidentes et les engages à créer collectivement pour occuper des espaces que le vide de leur fonction rend habitable. C'est en ce sens que l'Université Autogérée de Lyon à fait espace oppositionnel en s'appuyant sur des personnes plus tout à fait étudiante et même, pour finir, sans étudiant. Soit dit en passant on ne décrète pas un espace public oppositionnel on l'acte par une pratique et des choses vécues en commun qui portent l'opposition jusqu'au maximum de ce que permet la reprise de la forme "université" en dehors de l'institution » (Gzavier, ex. étudiant de master à l'université Lyon II).

7 – Cf. J. Guigou, « La formation rejouée  », Temps critiques no 14, hiver 2004, p. 165-171. Disponible sur le site de la revue.

8 – Cf. J. Guigou : « L'hypnose formative », Temps critiques no 14, p. 173, disponible sur le site.

9 – Cf. J. Guigou : « L'autonomisation des apprentissages dans la société capitalisée », Temps critiques, no 12, p. 86, disponible sur le site.

10 – Cf. Interventions no 8 de mars 2009 sur le site de Temps critiques : http://tempscritiques.free.fr

11 – Cf. les nos 6 et 7 d'Interventions, disponibles sur le site Temps critiques.

12 – Cf. J. Wajnsztejn, Après la révolution du capital, Paris, L'Harmattan, 2009.

13 – Sur ce concept, cf. le no 15 de Temps critiques (2010) disponible sur le site de la revue et particulièrement le premier article du numéro.

14 – Tu sembles pourtant conscient de la difficulté quand, p. 88, tu t'interroges sur le bien fondé de l'utilisation de la notion de « petite-bourgeoisie » et que p. 103 tu dis même que parler en ces termes n'a guère de sens.
Cf. aussi le développement des engagements « citoyens » et leur signification controversée. Ton utilisation de ces termes classistes me semble liée à une insuffisante prise en considération des transformations du salariat et au sein de celui-ci au déclin des catégories proprement ouvrières et productives au sens strict du marxisme. En ce sens strict d'ailleurs, ce sont toutes les catégories de classe du marxisme qui s'effondrent puisque le développement du capital aurait dû éliminer depuis longtemps les différentes formes de petite bourgeoisie et a fortiori les « classes moyennes ». Or nous savons qu'aux anciennes classes moyennes ont succédé des nouvelles…

15 – Cf. le supplément à Temps critiques, « L'État-nation n'est plus éducateur. L'État-réseau particularise l'école. Un traitement au cas par cas », disponible sur le site de la revue à l'article 106.

16 – Là aussi tu approches cela (p. 89) en relevant le caractère problématique de la division rigide entre infrastructure et superstructure.

17 – Cela ne recouvre donc pas la position de Rancière, résumée p. 139, qui fait comme s'il pouvait encore y avoir une « consistance de l'ouvrier » qui viendrait remplir et donner sens à « l'inconsistance des innombrables » (à mon avis, il regroupe sous ce vocable tous les « sans » ou bien il pense à « la multitude » des négristes).

18 – Dès 1936, la dirigeante de la cnt espagnole Federica Montseny avait déjà montré la voie en justifiant un « anarchisme d'État » dans la participation à un gouvernement d'unité populaire contre Franco.

19 – Une incapacité patente de la part du groupe de Vaulx-en-Velin « On vaulx mieux », pourtant particulièrement actif dans les luttes depuis plusieurs années et sous influence cnt et qui se refusa de fait à toute unité avec les parents, amenant ceux-ci à former leur propre collectif de parents en lutte au sein « d'École en danger ».

20 – Pour prendre un exemple : à la création des iufm, l'ensemble des enseignants du secondaire et leur syndicat majoritaire se sont récriés contre la création des iufm, considérée comme une volonté de liquider les contenus disciplinaires au profit d'une didactique prônée par des sciences de l'éducation à la légitimité scientifique alors non reconnue. Or aujourd'hui que le pouvoir veut liquider ces iufm, que remarque-t-on ? Que les mêmes qui critiquaient leur création critiquent maintenant leur suppression. Si au moins c'était parce qu'ils reconnaissaient s'être trompés cela ce comprendrait, mais pas du tout, c'est simplement parce que maintenant les iufm, ça fait partie intégrante de l'institution et défendre l'institution, ce serait déjà en soi un acte de résistance !
C'est méconnaître que l'institution a eu une fonction historique pratique qu'elle a moins (les savoirs et la « culture » diffusent de partout) et une fonction idéologique qu'elle n'a plus (l'école publique n'est plus celle qui s'opposait à la religion ou même à l'enseignement privé, aujourd'hui que le public pénètre partout le privé avec ses concours et ses programmes de la même façon que le privé pénètre partout le public avec ses méthodes).

21 – C'est cela le sens profond de « L'appel des appels » en direction de toutes les forces de gauche et « citoyennes » comme si celles-ci, depuis 1945, n'avaient pas participé largement à la situation présente.

22 – Il y avait eu un 1er colloque à Caen, en 1956, sous l'impulsion de Mendès France, pour « donner à la France les savants dont elle a besoin ». Cf. ici http://histoire-cnrs.revues.org/3651

23 – Le terme « d'enseignants » ne peut que perdre le résidu de substance qui, en France, lui est encore attaché grâce à la représentation du maître comme « instituteur de la nation » (cf. les révolutionnaires Saint-Just, l'abbé Grégoire, etc.), celui qui fait entrer l'enfant dans l'institution de l'État-nation, celui qui institutionnalise, c'était cela l'éducation républicaine !

24 – Et non pas « immatériels » comme veulent le faire croire les idéologues du « post-moderne ».

25 – C'est la thèse centrale de mon texte « Ni éducation, ni formation » ici :
http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article68

 

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