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Du rôle respectif de la théorie et de la critique : la critique est destruction de son objet

par Bodo Schulze

Publié dans : L’Individu et la communauté humaine. Anthologie et textes de Temps critiques (volume I)

Mon point de départ sera la circularité que Voyer avait posée entre la dissolution du caractère et la critique pratique de ce monde, un véritable cercle vicieux, l’énigme principale à laquelle les révolutionnaires se sont heurtés après 1968. Pour internationaliser le débat, je signale que ce même mystère avait surgi en Allemagne dès 1967, quoiqu’en termes un peu différents. Dans une discussion publique avec Marcuse sur « La fin de l’utopie », à Berlin, en 1967 (cf. H. Marcuse Das Ende der Utopie, Frankfurt, Verlag Neue Kritik, 1980, p. 38), Marcuse répondant à une intervention du public énonça ce cercle dans ces termes : « Vous venez de définir la difficulté majeure du problème. Vous m’objectez que pour qu’il soit possible de développer les nouveaux besoins révolutionnaires, il faut d’abord briser les mécanismes qui reproduisent les vieux besoins. Mais pour qu’il soit possible de briser les mécanismes qui reproduisent les vieux besoins, il doit exister le besoin de les briser. Voilà le cercle auquel nous sommes confrontés et je ne sais pas comment en sortir. »

Si ce constat est peu réjouissant, il a tout au moins le mérite d’être honnête. Surtout, il ne s’apprête pas à volatiliser l’aporie réelle où nous nous trouvons, en problème purement théorique. Contrairement à l’aporie du Crétois qui nous dit que tous les Crétois mentent, il ne s’agit pas ici d’un problème de la pensée, mais d’un cercle vicieux réel qu’on ne saurait briser en inventant des concepts originaux, par quelque expédient nominaliste, quelque théorie ingénieuse.

Comme l’écrit Denevert, « c’est dans le développement réel de cette opposition que se trouve la résolution de leur incompatibilité » (Chronique des secrets publics, 1975). Voilà posé abstraitement, dans l’ordre de la pensée, la seule possibilité de détruire l’harmonie pré-stabilisée entre l’univers capitaliste et la conscience qui lui est propre, les deux constituant la « réalité effective » du capital. Mais ce qui s’énonce de manière raisonnable et rationnelle n’est pas pour autant réel1. Ce « développement réel » dont parle Denevert est bien une nécessité qu’énonce la pensée comme condition de possibilité de sortir du capital mais il n’en reste pas moins que cette nécessité pensée ne peut préjuger de l’existence effective de ce qu’elle énonce. Sinon bonjour la preuve ontologique de l’existence de Dieu. Le concept de révolution demeure un concept nominaliste tant qu’il n’y aura pas de mouvement révolutionnaire. La position réaliste de ce concept est hors de la portée de la critique révolutionnaire. Toute critique qui se croit autorisée à poser comme ens realissimum l’axiome de Denevert (que Marx énonce dès L’Idéologie allemande) se transforme en délire théorisant. Elle prend tout bêtement ses vœux pour la réalité. Le concept critique ne peut préjuger de son existence hors de la pensée, son lieu de naissance. De là toute la vanité d’un débat théorique sur l’existence ou la non-existence du prolétariat.

Il existe quand on le voit agir sinon il n’existe pas. Nul besoin de revenir sur cette vérité absolue de Marx. La critique théorique ne peut « se réaliser » à la façon de l’idée hégélienne, c’est-à-dire devenir réelle en s’objectivant de son propre chef, ou plutôt : on ne peut penser une telle réalisation qu’à la manière léniniste. Le théoricien définit la réalité du prolétariat que le révolutionnaire professionnel s’apprête ensuite à effectuer par décret obligatoire : « est prolétaire qui… ». Le parti léniniste est l’existence politique de la théorie réaliste. Il me semble que les post-situationnistes n’ont pas remarqué cette affinité entre le léninisme et cette forme positiviste de la pensée. Dans l’après-mai, 68 français et allemand, il aurait fallu reconnaître que la cause matérielle capable de transformer la critique théorique en critique pratique, faisait défaut. Pénible, cette reconnaissance, douloureux surtout, mais nécessaire, sauf à dédoubler la folie sociale par la folie pseudo-révolutionnaire capable de briser le cercle capitaliste fait de l’aporie de Voyer une aporie réelle, existant socialement et que, jusqu’à nouvel ordre, il faut faire avec. Or ce qui s’est passé en France comme en Allemagne, c’est la mise en avant de diverses tentatives de sortir de cette aporie réelle où se trouve actuellement le « projet révolutionnaire », par un acte volontariste. Quelques différentes furent-elles, ces tentatives eurent ceci en commun qu’elles ne prenaient pas au sérieux la situation historique. Quelque nécessité impérieuse poussa les lecteurs de Voyer ainsi que ceux de Marcuse à chercher une résolution immédiat, ici et maintenant, à une énigme dont la dissolution pratique ne dépend pas de la volonté de quelques individus avertis. En pratique, on a dissout l’aporie réelle vers un de ces termes estimant qu’il faut d’abord dissoudre le caractère pour ensuite d’attaquer la critique sociale. Et hop, toute la nation sur le canapé. L’introspection et la mise à nu dans des séances thérapeutiques où régnait ce que le sociologue américain Richard Sennett a appelé « la tyrannie de l’intimité » (livre que je vous recommande vivement), en était le résultat. Knabb, dans Double réflexion (1974) accuse cette mystification psychologique. Je ne suis pas d’accord avec l’analyse qu’il fait de ce processus. Il voit là l’effet d’une « récupération de nos techniques sous forme de séances de rencontre ». Le raisonnement par récupération des idées situationnistes en soi bonnes par la société capitaliste est effectivement un préjugé qui hante la théorie situationniste, post-situationniste.

Au lieu de se lamenter sur la mise en vente des idées situationnistes, il convient bien plus de réfléchir sur la question de savoir pourquoi ces idées peuvent être « récupérées ». Cela ne tient pas tant à la déchéance des « pro-situs » malhonnêtes, mais à la forme de ces idées elles-mêmes. En effet, une idée ou un concept n’est pas quelque chose de neutre qui se prête à n’importe quel usage des idéologues. Ce n’est pas l’usage que l’on en fait qui détermine sa valeur. Aussi soutenez-vous — contrairement aux marxistes traditionnels —, qu’il ne peut y avoir « d’usage révolutionnaire » des sciences parce qu’avant même qu’elles profèrent la première (hypothèse), elles ont d’emblée transformé les hommes en objets. (cf. Adorno sur la psychologie). Le seul usage révolutionnaire des sciences, c’est de les critiquer.

Inversement, toute idée « récupérable » n’était d’emblée pas une idée critique. Peut-être me répondrez-vous, que les « conseils » ont représenté une pratique révolutionnaire, il y a 70 ans, et que ce n’est que de nos jours qu’on en a fait un moyen de la gestion capitaliste. D’accord. Seulement voilà, il y a 70 ans, les conseils n’étaient pas une idée, mais une pratique ; ils ne sont devenus une idée qu’au moment où, coupés de leur contexte historique, ils furent hypostasiés en recette magique à communiquer aux pauvres travailleurs obnubilés. Et voilà que cette idée, dans les mains des gauchistes cédétistes, a pris la seule signification actuelle possible, une fois coupée de sa réalité sociale historique, la signification que lui donne le réalité contemporaine, celle des « cercles de qualité ». Ce changement historique de la signification des conseils s’explique donc sans qu’il faille faire intervenir la corruption morale des gauchistes. Que celle-ci existe ne fait l’objet d’aucun doute, seulement elle ne peut expliquer les péripéties de l’histoire de la même façon que Lénine avait critiqué l’adhésion des sociaux-démocrates allemands à la politique de guerre : par trahison.

Pas précisément matérialiste, ça. En effet, le discours de la récupération est un rejeton du verbiage léniniste sur la trahison. L’exemple du rapport de Lénine à Kautsky est flagrant. À force de ne jamais avoir pu critiquer son maître d’avant 1914, la seule possibilité de prendre ses distances fut le dénigrement moral : Le renégat Kautsky aurait trahi les bons principes du marxisme dont lui, Lénine, seul serait désormais le dépositaire.

Revenons à nos moutons. Nul besoin de faire intervenir la corruption morale des gauchistes pour expliquer la récupération des conseils. Ce qui s’est passé, c’est que la signification objective de « conseil » a changé au fil de l’histoire, et les gauchistes ne font pas plus qu’exprimer sa signification actuelle. Ils pensent simplement ce contenu objectif : autrement dit : ils ne pensent pas du tout. Leur pensée est un pur reflet de ce qui est. Ils ne sont même pas malhonnêtes, parce que la malhonnêteté suppose une distance entre sujet et objet, distance qu’ils n’ont pas. Ce n’est qu’au moment où confronté à la critique, qui crée cette distance, ils persistent dans leurs fausses idées qu’on peut leur prêter une connivence ou même un soutien actif et conscient de la société. Voilà une des raisons pour lesquelles la critique ne doit pas se confiner à circuler exclusivement dans le « milieu », mais s’exercer quotidiennement, elle doit être le présente sur tous les terrains.

À ce point de mes développements, on me donne — je parle de mes expériences parisiennes — communément du « militant », encore un concept fourre-tout de la théorie situationniste, et très commode pour justifier sa paresse et ses éternelles ruminations de ce qu’on appelle très justement des « banalités de base » apprises à l’école maternelle de l’Institut Debord. Ce qu’il y a de vrai dans la critique de l’activité militante, c’est que le pédagauchiste militant est un être présomptueux qui s’attache à longueur de journée, à inculquer ses pauvres idées dans le crâne de son écolier réfractaire.

Et nous voilà renvoyés à nouveau à la question de l’idée. Je disais que le discours de la récupération rate son objet. Ce n’est pas le mauvais usage d’une — en soi — bonne idée, qui est à critiquer, mais une certaine forme de l’idée qui — quel que soit son contenu — lui confère la qualité d’être récupérable et donc d’être d’emblée positivée. On fait une proposition. On dit : voilà la pierre philosophale pour changer le monde. On dit : construction de situation ou conseil, ou association ou anarchie. Et dans l’ordre de l’intention, on y met tout ce qu’on a de plus sincère : il faut en finir avec cette société. Soit. Mais l’intention du sujet parlant n’a aucune prise sur le contenu objectif de ce qu’il dit2, c’est-à-dire sur la façon dont on le comprendra.

J. veut résoudre cette méchante affaire par une théorie intersubjective de la connaissance. Il dit « Il n’y a pas à priori de façon commune de comprendre un concept, mais seulement des façons individuelles. C’est l’accord intersubjectif des individus qui fonde cette façon commune, pas la police, pas la pub, ou le débat ». Il s’empêtre ainsi dans l’aporie de toute philosophie nominaliste : les concepts sont censés être des conventions mais pour pouvoir convenir de quelques définitions, on est d’emblée amené à faire usage de certains concepts qu’on ne pourra définir qu’en faisant appel à d’autres et ainsi de suite à l’infini.

On ne peut donc contourner la position préalable de quelque concept de base dont la signification doit être évidente aux interlocuteurs du débat. Et si je dis « on », cela veut dire que personne ne les a posés. Or pour ce qui est du problème exposé, il ne s’agit pas de la problématique philosophique des universaux, du débat entre nominalistes et réalistes. Ce débat est dépassé. Il fut dépassé, à l’intérieur de la philosophie même, déjà par Kant qui ne s’interrogeait plus sur le rapport entre les noms et les objets sensibles, mais sur la condition de possibilité d’un tel rapport. Et il fut ensuite dépassé par Marx qui fit sortir cette question du champ philosophique, en s’interrogeant sur le rapport entre la forme capitaliste de l’appropriation de la nature, et la forme de la pensée qui y correspond. Dans l’exposé du caractère fétiche de la marchandise, Marx démontre que la forme capitaliste de production engendre une conscience nécessairement fausse de cette forme. Il ne s’agit pas là d’erreurs subjectives d’un individu qu’on pourrait corriger par quelque moyen pédagogique, mais d’une forme sociale de la pensée.

Marx expose la genèse ce cette forme de pensée qui s’appelle idéologie. L’idéologie n’est pas comme le veulent les gauchistes avec les Français des Lumières le mensonge des prêtres mais un produit social, un produit qui est ce que Marx appelle une « deuxième nature » parce qu’elle fait face l’individu tout aussi objectivement que la « première nature », la nature quoi.

Après ce détour, il est peut-être un peu plus clair ce que j’appelle « contenu objectif » d’un concept ou d’une idée. À une époque où le prolétariat révolutionnaire est absent, la seule conscience socialement effective et donc objective est la conscience idéologique ; on dit « construction de situation », elle comprend « happening » ; on dit « conseil », elle comprend « loi Auroux » ; on dit « association », elle comprend « loi 1901 », on dit « anarchie », elle comprend « chaos ». Rien à faire. Tant qu’on lui parlera de manière positive en proposant des idées quelques subtiles soient-elles, cette conscience les ramènera toujours au connu. Elle ne comprendra rien ce qu’on veut dire. Que dalle. Et si ce sont d’abord des gauchistes, qui, en méconnaissant les « idées révolutionnaires », les répandent au sein de la société, quelques années plus tard, il seront entrés dans le sens commun, c’est à dire dans la Pub.

Vous avez tous remarqué cette folie de la conscience idéologique, mais vous ne pouvez le comprendre que sous la forme de « récupération ». M., par exemple, parle de « pollutions successives du langage » et propose pour pallier à ces nuisances « de mettre un contenu chaque fois qu’on évoque la publicité et donc de faire apparaître l’intention qui sous-tend cet emploi ».

Or, c’est justement le remède qui aggravera la maladie. Exposer son intention, sa sincérité, sa bonne volonté est, de nos jours la réalité des discours politiques. L’objectivation de l’intention a pour résultat le charisme personnel. Il recherche la confiance (Barre) ou la crédibilité (Mitterrand), tous les discours qui détournent le regard des actes pour le fixer sur la personnalité. Mais la vérité de l’intention, ce sont les actes. Et si les actes (en occurrence les idées avancées) vont être systématiquement mal compris, l’intention révolutionnaire se voit contrainte de chercher d’autres moyens pour s’affirmer que la ventilation d’idées.

Ceci ne vaut pas seulement pour le rapport entre les révolutionnaires et la société, mais aussi pour les rapports à l’intérieur des groupes. Sinon on arrive très vite à ces discussions destructrices sur le caractère révolutionnaire d’un tel ou d’une telle, à ce que J. appelle « fétichisme de la théorie », bref, à la « tyrannie de l’intimité », avatar des procès de Moscou, procès d’intention justement. Il ne sert donc à rien de dénoncer « dernière idée fausse du moment : la communication comme pseudo-communication pour ensuite prôner la possibilité d’intersubjectivité, la communication dialoguée ou l’authenticité ».

« L’intersubjectivité » est un concept provenant de la psychologie dite humaniste de Carl Rogers (cf. Initiative Sozialistisches Forum, Diktatur der Freundlichkeit, ça ira, 1985) et désigne très bien le scandale qu’il veut faire oublier, à savoir qu’il ne s’agit pas des sujets, mais des intersujets, des « branchements ».

Le concept de « communication dialoguée » se veut malin en rusant sur les adjectifs, mais quel publicitaire ne serait pas prêt à l’employer dès aujourd’hui pour se distinguer de ses concurrents ringards qui, scandale, en restent à la communication pure et simple.

Et comble du comble, « l’authenticité » est le pivot de chaque psychothérapie. J’estime que ce n’est pas ça que vous entendez dire, mais vous le dites quand même.

Quelle que soit l’idée avancée à titre de concept-clé de la théorie — que ce soient les conseils, la démocratie directe, l’action directe ou la communication — on se place, dans cette optique, inévitablement sur un terrain en pente qui, tôt ou tard, fait descendre les bonnes intentions dans les bas-fonds de l’idéologie capitaliste. Nous avons tous fait cette expérience que les idées dont l’apparemment intouchable pureté révolutionnaire ne faisait objet d’aucun doute sont déchues, quelques années après, au rang du piètre radotage gauchiste. Et qui plus est, ce idées ont donné lieu à d’interminables scissions entre les révolutionnaires si bien qu’aujourd’hui, c’est tout juste s’il y a deux ou trois personnes qui s’entendent sur le principe de leur activité.

La raison sociale de cette misère est évidente. Faute de mouvement révolutionnaire, ces idées de « conseils » etc. manquent de l’objet qui seul pourrait vérifier le caractère révolutionnaire ou non de ces idées. Ainsi leur (non)-vérité ne peut être objective, mais seulement intersubjective, elle se réduit au goût, aux préférences personnelles des sujets, préférences qui sont l’effet de circonstances aléatoires telles que les lectures, les actions vécues, les rencontres. Ainsi le fondement de l’entente des révolutionnaires n’est plus la cause commune, mais la concordance de quelques tics personnels, l’intimité acquise au fil des années. Au-delà de ces folies privées des mini-groupes règnent la suspicion, la crainte, la jalousie et l’esprit de corps. Le manque d’un débat réel que vous déplorez à juste titre, témoigne d’un manque de réalité des idées positives et ne peut être dépassé par extase de ce qui sous-tend les discussions simulées puisque dépourvues d’objet : l’intersubjectivité.

La vérité intersubjective nominaliste, conventionnelle se coupe de l’objet. Elle n’est qu’opinion et finalement aussi folle que l’opinion du fou qui se prend pour Einstein3. La vérité intersubjective n’est pas une vérité, parce qu’elle ne peut être démontrée. Cela ressort du fait que toute théorie nominaliste se voir obligée à poser arbitrairement et sont autoritairement un premier principe. Celui-ci doit être évident pour ceux qui prennent part au débat. Or, on peut tout aussi bien accepter que rejeter ce principe, et cela d’égale légitimité. C’est l’état de guerre des principes. La raison n’y a pas droit de cité. On accepte ou on n’accepte pas, question de goût.

Le caractère autoritaire du premier principe est le fondement ou la cause de la hiérarchie au sein des groupes. Puisqu’il ne peut être démontré rationnellement, le principe pour devenir réel et évident, doit s’incarner dans un personnage fort qui en est le dépositaire. Il garantit par son charisme que le premier principe n’est pas seulement une hallucination mais existe effectivement. Du même coup, le débat sur l’objet de notre cause transmute en querelle hiérarchique, ce qui amène les scissions, etc.

Pour réaliser ce que vous visez par « intersubjectivité », il importe tout d’abord d’en finir avec cette dernière. Ce qui ne veut pas dire chasser le mot pour laisser subsister la chose, c’est-à-dire cesser d’émettre des « idées ».

J’étais donc parti de l’avis de Knabb qui pleurait sur la récupération des techniques situationnistes. Des techniques donc. Cela me rappelle Vaneigem. L’I.S. et le pouvoir posséderaient le mode d’emploi des éléments de (dés)intoxication. Encore une fois, la technique est posée comme quelque chose de tout ce qu’il y a de neutre. Seul l’emploi déciderait du sens (dans tous les sens du mot) qu’on leur donne. Cette vision instrumentale n’a rien à voir avec la critique de Marx mais beaucoup avec la sociologie de Max Weber. En fait, elle est une reprise de la pratique léniniste ou bourgeoise qui prétend la neutralité des sciences dont on pourrait user aussi bien dans un sens contre-révolutionnaire. Cela rejoint ce que j’ai déjà dit ci-dessus. Je me limiterai donc à faire observer que ce face à face de l’I.S. et du pouvoir préfigure déjà le succès insoupçonné de Machiavel dans les écrits situationnistes des années 70.

Dans ce contexte, je ne saurais dire pourquoi les situationnistes fouettent tellement les P.C., notamment Gramsci, qui voyait dans le parti l’affirmation du prince prolétarien. Certes, les situationnistes s’abstenant à fonder un parti ne tirent pas les mêmes conclusions pratiques et en cela ils sont moins conséquents que les marxistes traditionnels. Mais ils pensent dans les mêmes formes. S’ils se refusent à réaliser cette forme de pensée, c’est bel et bien parce qu’ils sont des léninistes honteux, inavoués. Ou moins méchant : ils sont des léninistes pour ce qui est de leur forme de pensée ; mais leur dégoût pour les P.C. leur interdit d’être léninistes en pratique. Ce n’est pas le moindre mérite de Debord et de Sanguinetti d’avoir reconnu qu’au début des années 70 la dissolution de l’I.S. était le seul acte révolutionnaire possible. Voilà ce qu’on appelle clairvoyance historique. Dans le débat sur le caractère, J. soutient que : « la dissolution du caractère est effective au moment où les désirs sont suffisamment conscients (défoulés) pour que les frustrations aussi soient conscientes ». Je suis quelque peu étonné qu’un anti-hégélien acharné tombe ici dans ce qu’il y a de pire chez Hegel, à savoir que la conscience d’un obstacle équivaudrait à l’avoir franchi. Cela ne peut être affirmé qu’à condition qu’en, niant l’auto-consistance de l’objet on le réduise d’emblée à un objet pensé, à une simple objectivation de l’idée. C’est terriblement sous-estimer la réalité capitaliste ? En effet, si l’on peut démystifier en la critiquant la conscience fétichisée qui s’hallucine que ce qui est un effet de la « deuxième nature » serait le produit de sa propre volonté autonome, cette critique de l’idéologie n’est pas pour autant à même de dissoudre la matérialité capitaliste qui est le fondement de cette idéologie ? Ce serait encore une fois confondre ses vœux et la réalité. Tout un chacun soit, ô combien, il est difficile de changer ce qu’on a reconnu, par l’intermédiaire des autres, de mauvais dans sa propre personnalité. Voilà ce qui prouve déjà empiriquement la fausseté de l’affirmation de Reich.

Cela vaut, à plus forte raison, pour l’hallucinant dicton de Denevert selon lequel le caractère serait un « choix conscient » (Chronique des secrets publics, 1975). Dans la mesure où le caractère est une forme de l’esclavage moderne, choisir librement son caractère est une contradiction en soi. Cette affirmation ne peut pas même être pensée. Selon le principe de non-contradiction, on ne peut penser un contenu qui nie la condition de possibilité de le penser. Or, choisir librement la non-liberté abolit la possibilité de ce choix, la liberté. Si donc l’énoncé farouche de Denevert revient à une absurdité, il est tout à à fait compréhensible sur le fond de ce que dénonce N., le fait qu’il y ait des fainéants qui abusaient de Reich pour justifier leur paresse : le caractère comme excuse.

Pour revenir à J., il me semble que son propos anticipe sur la théorie d’A. C. calquée effectivement — comme le suggère M. —, sur le modèle de l’économie chez Voyer. Le caractère serait « un mensonge » que la pensée dominante nous offre afin que nous puissions « masquer le vide » qui nous hante. Si J. avait dissout l’objet « caractère » en objet pensé hégélien, A. le dissipe dans l’illusion mensongère que les psys feraient planer sur la réalité vide. Ici on entrevoit déjà ce qui devient le credo des faurissoniens situs : on fait passer un fait dans l’usage qu’en fait la propagande dominante en concluant que puisque cet usage occulte la réalité, le fait utilisé n’existe pas. Cette fausse logique est tellement flagrante que je me pose la question de savoir quelle nécessité pousse des gens, qui, pas ailleurs, témoignent de pas mal de perspicacité, à soutenir une telle bêtise.

 

Il faut tout d’abord jeter quelque lumière sur la genèse historique de cette théorie qui ramène la réalité capitaliste à un mensonge sur la réalité. Le degré zéro est évidemment Debord : La Société du spectacle, théorie elle-même claquée sur L’Essence du christianisme de Feuerbach. Chez Feuerbach, la religion et une aliénation universelle du genre humain. Il suffit de substituer « spectacle » à « genre humain » et voilà la thèse principale de Debord « le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant » (thèse 2).

Alors se pose la question de savoir comment et pourquoi cette aliénation se produit, question que Marx pose à Feuerbach en y répondant, dans la quatrième thèse sur Feuerbach, comme suit : « Le fait que la base profane se détache d’elle-même pour aller fixer dans les nuages un royaume autonome ne peut s’expliquer que par le déchirement de soi et la contradiction interne de cette base profane ». Voilà donc une première réponse du jeune Marx à une question que Feuerbach n’avait même pas posée. Tout le travail critique subséquent de Marx consistera en la tâche d’expliciter ce qu’il désigne ici comme « déchirement en soi » et « contradiction interne ». Et ce ne sera que plus de vingt années plus tard qu’il aura trouvé une réponse satisfaisante à ses yeux, à ce problème ; dans l’exposé de la genèse logique de la forme argent et du caractère fétiche de la marchandise.

Et qu’est-ce que fait Debord ? Il ne réussit pas même à se poser cette question qu’il lui fallait pourtant, non pas découvrir de son propre chef, mais seulement lire chez Marx. Rien de cela. Debord ne cherche pas à démontrer la genèse du spectacle à partir d’une analyse du rapport des hommes à la nature, mais il part du fait de l’existence du spectacle comme idée pour en déduire, par voie d’objectivation hégélienne de cette idée, la réalité matérielle du spectacle : « Le spectacle est (…) une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite. C’est une vision du monde qui s’est objectivée. » (thèse 5)4.

On ne sait pas très bien d’où vient cette vision du monde5 ni comment ce serait possible qu’elle puisse « s’objectiver » à la manière de l’idée hégélienne. L’affirmation que ce seraient les médias qui sont la cause efficiente du spectacle est certes une lecture assez répandues mais elle fait violence au texte de Debord. Dans la Thèse 6, il dit expressément qu’« information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissement » sont des « formes particulières » du spectacle, non pas les sujets qui le produisent. Le spectacle est quelque chose d’immatériel, une vision du monde, et qui ne devient matériel que pas un procès spéculatif d’objectivation. La Société du spectacle de Debord est une philosophie spéculative, et ce n’est que le gros mauvais sens positiviste des situationnistes qui y lit une sociologie empirique des médias au sens large.

Comme toute philosophie spéculative, la philosophie du spectacle, elle aussi, se construit sur un mythe d’origine. C’est la vie. Elle serait la réalité réelle dont les « images » « se sont détachées » (thèse 2), pour constituer ensuite une réalité irréelle, celle qui s’offre aux regards du monde « Le spectacle est le cœur de l’irréalité de la société réelle » (thèse 6). Voilà donc le monde scindé en deux6. D’un côté la réalité réelle de la vie, de la communauté vraie des hommes, de leur être générique — réalité intelligible seulement pour l’initié —, de l’autre, la réalité irréelle de la vie aliénée, du spectacle où s’égare la conscience quotidienne.

C’est le schéma de toute philosophie : seuls le philosophe et ceux qui « s’élèvent » à son point de vue sont à même de contempler la vérité. Et c’est aussi le schéma du marxisme traditionnel où le philosophe devenu bureau politique décide de ce qui est vrai ou véritablement prolétarien.

De même que, dans la lecture situationniste, le spectacle fur réduit à l’existence empirique des médias, l’idée spéculative de la vue se transforma en vie quotidienne, que ce soit sous forme de « quotidiennisme » (quel monstre de mot), que ce soit sous forme de « bavardage » (Voyer, Os Cangaceiros).

Et enfin la double réalité du monde fut assimilée à ce qu’on appelle la « théorie des classes »,, terme emprunté au marxisme traditionnel. Si Debord écrit « La séparation fait elle-même partie de l’unité du monde, de la praxis sociale globale qui s’est scindée en réalité et image. » (thèse 7), la « réalité » fut assimilée au « prolétariat » et « l’image » à la « bourgeoisie ». C’est cette vision pastorale de la mise en scène bourgeoise de l’image, qui trouvera dans Voyer son théoricien avéré. Le succès incontestable de Voyer est dû au fait qu’il s’est créé, par son charabia hégélianisant, une auréole de philosophe profond tout en y mélangeant le sens commun des situationnistes positivistes7. Ainsi, le situationniste pouvait à la fois se parer de la suprême philosophie et en rester à ses petites idées préconçues du monde.

Je ne m’arrête pas sur le côté hégélien de Voyer puisqu’il coupe, à chaque instant, le cheminement logique de l’idée, par des raisonnements qui lui sont extérieurs. L’hégélianisme de Voyer n’est qu’apparence. En effet, il ne peut en être autrement. Car, alors que chez Hegel, on a affaire à l’Idée Une, Voyer doit affirmer deux principes historiques : d’une part, la « publicité » c’est à dire la « vie » de Debord, et d’autre part le spectacle, plus précisément « l’économie ». Entre eux, point de médiation. Si chez Hegel, toute opposition immédiate va être « subsumée », de sorte que la médiation infinie devienne ce qui seul subsiste, et existe en tant que tel, Voyer, en faisant intervenir l’entendement abstrait, établit une incompatibilité absolue entre « publicité » et « argent ». Ce n’est qu’un jeu académique s’il expose aussi bien la logique de la publicité, que celle de l’argent, à la manière hégélienne, l’essentiel étant le rapport entre eux.

Et c’est là où réside toute la différence entre Debord et Voyer. Debord laisse dans l’obscur les modalités selon lesquelles les images « se détachent » de la vie. C’est un vide qu’il fallait bien expliquer. Mais pour ce faire, il y avait deux possibilités : ou bien chercher à exposer la genèse logique universelle du spectacle, soit répondre à la question que Marx avait posée à Feuerbach ; ou bien chercher un sujet particulier responsable d’avoir mis au monde ce spectacle, soit le chemin emprunté par Voyer.

Il se met donc à la recherche du coupable perdu qu’il décèlera dans le marchand. « Ce n’est pas le travail qui est l’activité créatrice de valeur, mais le commerce, cette activité pluri-millénaire des marchands dans leur effort pour réaliser, chacun pour soi, l’argent ». (Une enquête sur la nature et les causes de misères des gens, Paris, Champ Libre, 1976, p. 65 sq). Voilà donc le coupable désigné. Là où Marx avait démontré la genèse logique de l’argent à partir de la double appropriation de la nature par les hommes (travail concret, travail abstrait), Voyer voit à l’œuvre les méchants marchands qui exploitent le bon sauvage prolétarien. Voyer ne peut envisager le caractère inouï de l’exploitation capitaliste, à savoir que c’est une exploitation sans sujet exploiteur conscient, les capitalistes n’étant que les personnifications de la catégorie sociale « capital », de la substance « valeur » devenue un « sujet automate » (Marx, Le Capital, trad. J.-P. Lefebvre, Paris, Éd. Sociales, 1983).

La culpabilisation des marchands est en même temps la déculpabilisation des non-marchands dont l’adhésion au simulacre économique ne pourra ensuite être expliquée que pas ce vieil expédient léniniste de la corruption. Aussi Voyer glisse-t-il de plus en plus vers les bas-fonds de l’insulte à la Céline. Ne serait-ce pas là l’expression d’un ressentiment ?

Dès qu’on a imputé « l’économie marchande » à l’activité du marchand, la question de l’idéologie ne peut plus être résolue qu’en invoquant le « mensonge » des économistes : « L’économie n’est rien d’autre qu’un mensonge de la bourgeoisie sur la domination de la bourgeoisie » (Voyer, op. cit., p. 28).

Au fil de ce cheminement théorique, « l’aliénation » s’est vue peu à peu renvoyée au « mensonge » que les chiens de garde de la société capitaliste inculqueraient dans le crâne du peuple malheureux. De là tout ce vocabulaire d’épuration : « intoxication », « pollution », « nuisances », et surtout « mensonge », et encore « mensonge », une véritable vision policière de la société et de l’histoire.

Soutenir la non-réalité de l’économie et du caractère est certes très réconfortant dans cette glaciale époque, mais cela rajoute à l’aveuglement universel celui des révolutionnaires, et cela, ce n’est pas précisément réconfortant. C’est même inquiétant, très inquiétant. J’ai l’impression que le plus difficile, c’est de reconnaître notre impuissance actuelle, et qu’au lieu de faire avec, en réfléchissant sur ce que nous pouvons toujours faire dans cette situation, les situationnistes — chose bizarre — cherchent à tout prix à mettre en œuvre quelque expédient, afin de la contourner et pouvoir se pâmer au soleil de la théorie vraie — et alors là, le vrai de vrai.

Si une situation ne fait pas la révolution, il n’y a pas de quoi, l’hiver venu, se rendre au solarium. On risque de rater l’été suivant. En attendant la banquise, pas la revue (et encore moins Godot !) (NDLR), la vraie, temps propice à prendre un peu de recul par rapport à ce qui s’est passé, à ce que l’on a fait, temps qu’il faut mettre à profit pour réfléchir.

Vous avez centré vos réflexions, je le vois bien, sur le « ressentiment » et le rôle des centres de recherches des capitaux multinationaux, tels que la Commission Trilatérale. Et la Trilatérale, elle, serait un club de réflexion « du Capital multinational moderne ». On touche là à une question que nous avons déjà soulevée.

Le Capital agit-il consciemment ou non ? Plus précisément, peut-on parler d’un sujet « Capital » avec un grand « C » et quel statut a son éventuelle conscience ? J’avais fait allusion à la vision marxienne du « sujet automate ». Voilà un joli mystère. « Sujet automate », n’est-ce pas une contradiction en soi ? Un sujet est censé être un être qui détermine consciemment les buts et les moyens de son action. Un automate, par contre, fonctionne d’une certaine manière qui est sa nature et qu’il ne peut changer lui-même. Comment serait-il alors possible qu’existe quelque chose qui soit à la fois « sujet » et « automate », le capital ? Il faut d’abord souligner que l’analyse dans laquelle Marx avance ce terme de « sujet automate », il traite du capital en général et pas du mouvement des capitaux individuels dont le sujet automate est la logique intérieure. S’il est sujet, il l’est au titre de cette logique intérieure du mouvement des capitaux empiriques. Il préside à ce mouvement sans y présider, ou il y préside sans qu’il soit pour autant une instance qui détermine à chaque instant le mouvement de chaque capital individuel ; il est une instance empiriquement insaisissable. Il est réel sans être empirique8. Autant dire qu’il se fout pas mal de l’empirisme. La seule chose qui lui importe, c’est lui-même, son auto-valorisation. Il se confine dans son narcissisme, voire autisme, sans aucune fenêtre sur ce qui lui est présupposé, la nature. N’ayant pour finalité que lui-même, il n’a pas de fin du tout, ou plutôt, il ne peut délibérer sur ses fins. Sa finalité, qui est lui-même, est sa propre nature. En cela, il est un automate.

Ceci est un premier élément de réponse à l’interrogation soulevée. On peut parler ici d’un sujet capital, mais seulement dans la mesure où il n’a pas d’autre projet que son rapport à lui-même. Le capital en tant que sujet automate ne peut avoir de stratégie perce qu’il n’existe pas en tant que tel, mais seulement en tant que logique intérieure du mouvement des capitaux individuels. Or, ceux-ci élaborent bien des stratégies. Des stratégies de marketing, de recherche, bien sûr, mais aussi des stratégies politiques. Dans cette optique, ils financent des centres de recherche qui élaborent des scénarios du possible développement de « l’ambiance internationale et internationale ». Comme les investissements en capital fixe deviennent de plus en plus lourds, les projections à long terme recouvrent 20 à 25 ans. Ces projections sont en fait des extrapolations du développement passé, sur la base de quelques variables arbitrairement posées. On essaie de pallier à cet arbitraire en élaborant au moins deux projections. Sur la base de ces scénarios économiques, on fait intervenir des analyses politiques, sociologiques et psychologiques. À partir ce cet amas d’informations les plus diverses, s’élaborent des projets que ces capitaux mettent en œuvre ou bien directement, ou bien pas l’intermédiaire des gouvernements. Tout cela est incontestable.

Seulement voilà, il n’y a pas seulement un centre de recherche, mais il y en a beaucoup. Il y en a du moins autant que d’alliances entre les divers capitaux individuels. Ainsi la Trilatérale avait certes une grande influence sur la politique des États-Unis, mais elle s’est vue constamment contestée par d’autres Centres qui représentent les capitaux américains et qui sont plutôt tournés vers l’intérieur du marché américain. Vu la politique économico-militaire américaine des dernières années, on peut dire que cette fraction l’a finalement (pour l’instant) emporté sur la Trilatérale.

L’empirisme montre donc de multiples tentatives de diverses fractions du capital — et ces alliances ne sont pas fixes une fois pour toutes — qui essaient de conjurer l’incalculable développement futur. Ces groupes de capitaux agissent consciemment mais cet agir conscient a le même statut que le vôtre ou le mien : les conséquences nous échappent en fin de compte. C’est bien cela qu’exprime le fait que le « sujet automate » préside à toutes les actions sans qu’il mette pour autant un « plan » en œuvre, comme le pensent les opéraïstes italiens. Et en ce sens précis, toutes actions conscientes, celles des capitaux multinationaux, sont elles aussi inconscientes.

Pour citer Marx : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils la font inconsciemment ». Le résultat global de leurs actions se noue derrière leur dos ou par-dessus leur tête. Lorsqu’on perd de vue cette dialectique entre « conscient » et « inconscient » en hypostasiant un sujet capital agissant consciemment9, on tombe dans une vision policière de l’histoire. En fait c’est là à la fois la vision des staliniens du Capital monopoliste d’Etat élargie à l’échelle mondiale, et celle que les antisémites de tout acabit ont des « Sages de Sion », prétendue conjuration mondiale des juifs contre le reste du monde. Il y a là une méchante logique intérieure que j’ai pu constater tout récemment en Allemagne.

Là, c’étaient certains blocs autonomes et certains anti-impérialistes (le fameux « bloc noir » des manifs) qui, au début des années 80, ont fait de la Trilatérale un de leurs chevaux de bataille, affirmant justement cette vision policière de l’histoire10. Alors, il y a trois semaines qu’un groupe d’anti-impérialistes à Freiburg a sorti un tract où ils affichent ouvertement leur antisémitisme. Ce n’est pas un hasard. Les idées ne sont pas des jetons auxquels on pourrait donner n’importe quel sens. Elles ont une signification objective déterminée par leur histoire. Cette logique des concepts amène celui qui ne réfléchit pas, tôt ou tard, à dire ce qu’il avait depuis toujours pensé sans le savoir. L’idée d’un capital multinational conscient est antisémite parce qu’elle n’est qu’un voile marxisant de ce qu’elle signifie, les « Sages de Sion ». Si telle est la logique interne des idées, elle ne prédétermine évidemment pas que telle personne sera inévitablement amenée du « voile » à la « signification objective ». Elle ne le sera que dans la mesure où elle ne pense pas, et où les idées pensent en, et au travers d’elle. À chaque instant, il lui est pourtant possible de se dessaisir de ce qu’il n’a jamais vraiment pensé, et ce n’est pas la moindre tâche de la critique que de tendre aux gens un miroir, en leur exposant l’ultime résultat de ce qu’ils « pensent », pour les interroger si tel est vraiment leur dessein.

En ce sens, la critique est bien une thérapeutique ; cependant, elle n’est qu’une thérapeutique négative qui ne peut dire ce qu’il faut faire — ce sera aux individus associés d’y réfléchir — mais que ce qu’ils font est absurde. Par cette distanciation produite dans l’acte de la critique, les individus ont la possibilité de se défaire de leur conscience nécessairement fausse, de l’idéologie. Bien entendu ce n’est qu’une possibilité. C’est alors à eux de se décider. Mais ce ne sont que dans les moments de distanciation en regard de l’idéologie qu’étincelle fugitivement la liberté et donc la possibilité de délibérer et de se décider. Sinon le sujet conscient n’existe pas. Le bien-fondé de ce concept de critique se trouve dans ce qui en est le paradigme, la critique de l’économie politique de Marx.

Les sujets des la critique sont aussi variés que les phénomènes de la société capitaliste, il y a donc amplement matière à travail. Je vous envoie ma première tentative de critique d’un des phénomènes de la société française, un tract que je distribuerai lors des États Généraux des associations qui militent pour la Carte de Citoyen.

Peut-être est-ce ici le moment de dire quelques mots sur la critique situationniste du militantisme. Je considère que cette critique est juste, dans la mesure où elle porte sur ceux qui avancent une idée positive (égalité des droits, travail pour tous, etc.) et se battent pour sa réalisation. Voilà ce que j’appelle un militant. Or, la critique a ceci de commun avec l’idée positive qu’elle vise quelque chose d’universel. Si donc on fait reproche à ma conception de la critique d’être militante, ce reproche porte sur le fait d’agir en vue d’un universel, c’est-à-dire de ne pas être « concret », « immédiat », « applicable », et que sais-je d’autre.

Cet affect contre tout ce qui est « abstrait » et « intellectuel », etc., est encore un stéréotype antisémite. Dans l’imaginaire antisémite depuis Barrès en France, le juif pense « abstraitement », il est « sans instinct », « décadent » et « incompétent ». « Intellectuel » devient une parole d’insulte. Les nationaux-socialistes y ajoutent les épithètes « froid » « déraciné », « dépourvu de sang », etc. C’est la haine contre toute pensée qui ne se laisse pas monnayer, qui ne fait pas de propositions concrètes, qui se soustrait à l’emploi technique. En milieu post-situ, ce sont surtout les Cangaceiros qui versent dans ce genre de polémique. Pour les autres que j’ai connus, le reproche de militantisme découle plutôt de la paresse, qui préfère rabâcher les vieilles banalités de base, des trivialités « casa lingua ».

Si la critique est le rapport négatif à la société capitaliste, elle ne saura épargner un seul de ses phénomènes. Le travail de la critique ressemble à celui des éboueurs qui s’occupent, chaque jour à nouveau, des ordures de cette société. Débarrasser, voilà le mot d’ordre de la critique. Elle ne s’abstient donc pas d’être présente sur le terrain social partout où jaillissent des mouvements dont les buts représentent de fausses propositions pour sortir du malaise qu’ils ont reconnu. Seule cette présence sur le terrain nous procure la connaissance intime nécessaire à l’élaboration de la critique. Sans cela, on sera dans le flou, c’est à dire inefficace.

On reproche souvent à la critique de se confiner dans la « théorie », qu’elle donnerait dans le « théoricisme ». Or « théorie » et « critique » sont deux choses absolument différentes. La « théorie » est véritablement ce qui dit l’étymologie du mot, elle est « contemplation »11, un rapport passif au monde. La théorie accueille son objet sans autre forme de procès, s’attachant ensuite à « raisonner » sur l’objet. Elle ne peut émettre des thèses, hypothèses, propositions et syllogismes que parce qu’elle accepte son objet comme quelque chose de donné. Aussi est-elle impuissante et incapable de jamais le remettre vraiment en cause. La « compréhension » qu’elle vise est compréhension également dans le sens d’excuse ou de justification. Ce qui s’entend est entendu. Le préjugé essentiel de la théorie est de rationaliser son objet : sans cette présupposition, son dessein d’appliquer la logique de l’entendement à l’objet serait dépourvu de fondement. Et c’est précisément cette présupposition que la critique met en cause en affirmant la folie objective de la société capitaliste, affirmation qui ne peut donc être démontrée théoriquement.

Cependant cette affirmation n’est pas non plus une position réaliste de quelque concept fondamental : cette position-là est le privilège de la théorie. Tout le contraire pour l’affirmation principale de la critique. On ne peut la théoriser. On la « sent », c’est-à-dire on la voit, entend, etc., ou non. Voilà l’impulsion extra-théorique qui pousse à envisager cette société sous sa détermination d’objet à abolir. Alors que la théorie est la domination du concept abstrait sur les sens, la critique est la réflexion pratique, en acte, de cette impulsion. Elle n’accueille pas son objet comme donné (comme le fait toute philosophie ce qui fait son positivisme secret), pour l’expliquer, elle vise sa destruction. La critique est la destruction de son objet. « La critique qui a pour objet un tel état de choses est une critique dans la mêlée, et dans la mêlée il ne s’agit pas de savoir si l’adversaire est noble, s’il est votre égal par la naissance, s’il est intéressant, il s’agit de l’atteindre ». (Marx, « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel », in Critique du droit politique hégélien, trad. Albert Baraquin, Éd. Sociales, 1975, p. 200). Ce rapport négatif et négateur à l’objet est double comme l’objet lui-même. Celui-ci est double dans la mesure où il est le dualisme de ce qu’on appelle théorie et pratique, dualisme que la critique démystifie en tant que forme marchandise et idéologie. L’unité des deux constitue le sujet-objet de ce monde à tête de Janus, et qui produit donc nécessairement tous ces « couples » que M. a dénoncés. Si la critique est un certain rapport à ce monde, une certaine attitude ou un certain comportement vis-à-vis du monde, ses possibilités d’effectuation dépendent de ses forces sociales.

Celles-ci se réduisent aujourd’hui à l’existence de quelques individus dispersés dont la seule possibilité de s’attaquer à ce monde consiste en la destruction de l’idéologie. Ce n’est donc pas la critique qui se confine dans la théorie, mais l’état du monde qui contraint la critique à la pratique de l’idéologie. Sauf à s’halluciner quant aux « casses » des pauvres de ce monde, qui signifieraient une critique pratique de la marchandise12, et non pas seulement la lutte pour la survie de ceux qui n’ont aucune possibilité effective de changer le cours du monde. C’est la vérité universelle d’Auschwitz : des superflus, on saura toujours se débarrasser. Si les militants de tous bords mésestiment la critique de l’idéologie, c’est parce qu’il sous-estiment l’idéologie. On se doute que, par conséquent, leurs discours ne font que bétonner ce qu’ils prétendent combattre.

Maintenant, le ressentiment. Lorsque V. écrit : « Le ressentiment est aussi bien la simple forme du sens, mais absolument séparée de lui », il fait encore une fois appel à la Société du spectacle. Le ressentiment serait une sorte de spectacle intérieur. J’ai déjà relaté ce que je pense de ce discours anthropologique, et de son mythe d’origine, dans les mots de J. : « l’amour » — « La police est l’invention des hommes qui ne savent pas aimer. Tel est le concept du ressentiment ». Si maintenant V. construit cette vision sur la morale nietzschéenne, il se place sur un terrain assez dangereux, puisque, chez Nietzsche, ce que J. nomme « amour », c’est la morale de la race dominatrice de l’ancienne Grèce. Une morale aristocratique qui fournit certes une phénoménologie assez séduisante du comportement de l’esclave révolté, mais qui est elle-même une expression du ressentiment, cette fois-ci contre les juifs.

Lorsque Nietzsche écrit « le peuple a vaincu » — ou bien « les esclaves », ou « la populace », ou « le troupeau », ou comme vous voudrez bien les nommer, — si cela est arrivé grâce aux Juifs, eh bien jamais peuple n’eut mission aussi universelle : « Les maîtres sont défaits ; la morale de l’homme du commun a vaincu ». Il attribue l’uniformisation du monde, œuvre du capital, à ceux qui dans l’imaginaire antisémite, sont synonymes d’exploitation, puisqu’ils sont censés être les maîtres de l’argent. Or, selon un proverbe français du XVIIIe siècle : « Nulle terre sans seigneur, mais l’argent n’a pas de maître ». C’est précisément la différence spécifique de la domination capitaliste qu’elle soit abstraite, qu’elle ne soit pas une forme de la domination personnelle, qu’elle rompe en cela avec toutes les formes historiques de la domination. L’anticapitaliste antisémite — représenté par exemple par la fraction gauche du N.S.D.A.P., la fraction de Strasser — est antisémite en ce qu’il fait des Juifs les auteurs de cette abstraction : le Juif pense abstraitement, il est cosmopolite comme l’argent, il détruit la tradition, il n’est enraciné dans aucun sol qui lui soit propre, il est errant, nomade, vient du désert, et est donc stérile en pensée, etc. L’anticapitalisme antisémite désigne le Juif comme « bouc émissaire » (V.) de sa misère. Si c’est ça, votre vision du ressentiment, vous pourrez difficilement vous référer à Nietzsche.

Mais je devine que V. me renverra à La Question juive de Marx. Quel est, en fait, l’enjeu de l’article de Marx ? Le cadre historique est donné par la décision du Parlement rhénan d’émanciper les Juifs, décision que le roi prussien ne reconnaît pas. Dans l’agitation politique qui s’ensuit, Marx prend résolument parti pour l’émancipation des Juifs. Il polémique contre Bauer qui pose comme condition de cette émancipation que les Juifs doivent préalablement renoncer à leur religion. Bauer ignore que la sécularisation de l’État n’implique pas la disparition de la religion.

En, identifiant l’une et l’autre, Bauer fait de l’émancipation des Juifs l’affaire des Juifs ; ils doivent abandonner leur religion pour accéder à la citoyenneté. Bauer parle en fonctionnaire d’État ; Marx renverse la vapeur. Dans l’État politique sécularisé, la religion est une affaire privée, l’affaire du bourgeois, c’est-à-dire de l’homme privé, non pas du citoyen. Il y a donc compatibilité entre judaïsme et citoyenneté. Mais Marx va plus loin. Il descend du ciel de la religion (juive) sur la terre de la société en procédant à la manière de Feuerbach, à une réduction ad hominem : l’essence terrestre du judaïsme, c’est le commerce. Le judaïsme devient une métaphore pour la circulation marchande. Bien entendu : une métaphore, puisque Marx ne fait pas des Juifs les agents de l’universalisation du commerce en disant que l’argent est devenu le pouvoir universel sur le monde « par le Juif et sans lui ».

Ainsi, qu’en est-il de cette réduction Feuerbachienne ? Celle-ci consiste à déduire la pratique humaine de la forme céleste aliénée, « l’homme », de « Dieu » chez Feuerbach, « le commerce » du « judaïsme » chez Marx. Or, un an plus tard, Engels fait la critique de ce procédé en écrivant à Marx, dans une lettre du 19 novembre 1844 : « L’homme feuerbachien est déduit de Dieu ; Feuerbach en est venu à l’homme en partant de Dieu et c’est pourquoi l’homme est effectivement encore limité par l’auréole théologique de l’abstraction ».

Et 23 ans plus tard, Marx revient implicitement sur cette question, en écrivant dans la note 89 du Capital (p. 418) : « Il est en effet plus facile de trouver par l’analyse le noyau terrestre des conceptions religieuses les plus nébuleuses ; qu’à l’inverser développer à partir de chaque condition réelle d’existence ses formes “célestifiées”. C’est cette dernière méthode qui est l’unique méthode matérialiste, et donc scientifique ». Voilà donc, entrepris par l’autre côté, la critique du discours anthropologique de l’aliénation de Feuerbach dont le Marx de La Question juive était encore tributaire. Il suffit de lire cette lettre d’éloge que Marx écrit à la même époque à Feuerbach (lettre du 11 août 1844), pour se rendre à l’évidence.

En plus de cette insuffisance de méthode, La Question juive de Marx en comporte une autre, matérielle celle-ci. C’est que Marx n’avait pas encore charpenté sa critique de la société capitaliste. Dans La Question juive, elle n’apparaît que sous la forme du commerce et de l’argent, c’est à dire en tant que circulation marchande qui, elle, n’est pas spécifique à la société capitaliste. Et qui plus est : elle est, en tant que partie de l’anti-mouvement du capital, la sphère de l’apparence et de la mystification « Mais c’est précisément cette forme achevée du monde des marchandises — la forme-monnaie — qui occulte sous une espèce matérielle, au lieu de les révéler, le caractère social des travaux privés et donc les rapports sociaux des travailleurs privés ». (Le Capital, p. 87)

La critique de l’argent et du commerce n’est donc pas forcément marxienne ? Elle fait, sous une autre forme, partie de toute la critique romantique qui déplore la dissolution des vieux rapports féodaux de l’Ancien Régime. Et elle devient un cheval de bataille de l’antisémitisme moderne qui voit dans l’universalisation du commerce et de l’argent un complot des Juifs. Cette vision n’est pas l’exclusivité de la « droite ». Au XIXe siècle, presque tous les théoriciens du socialisme français et quelques jeunes hégéliens versent dans l’antisémitisme. Autant dire à quel point la critique marxienne de l’économie politique est importante pour en finir avec la critique antisémite du capital.

Bodo Schulze

Notes

1 – Sur Hegel, lire : Theodor W. Adorno, Trois études sur Hegel, Payot, 1979.

2 – cf. Debord « À chaque moment donc les groupes et les individus se trouvent devant des résultats qu’ils n’avaient pas voulus » (Œuvres cinématographiques complètes, Paris, Champ Libre, 1978, p. 33).

3 – cf. Theodor W. Adorno, (1965), « Opinion, illusion, société », in Modèles critiques, Éd. Payot, 1984, pp. 114-119.

4 – Soit dit en passant, mon dessein n’est pas de faire une critique de Debord qui apparaît ici seulement comme prédécesseur de Voyer, ce qu’il n’est pas. Je veux simplement reconstruire très brièvement la pente douce qui conduit des cieux de Debord à l’enfer de Voyer. Il est évident que je ne prétends pas là démontrer une inévitable et irrévocable nécessité historique. On aurait pu tout aussi bien sortir de la théorie feuerbachienne de Debord. Mais comme, ce n’était pas le cas, il est légitime d’avancer une construction ex post de ce dont il faudra sortir.

5 – C’est la même scission du monde psychologique en deux chez Reich que Burian critique.

6 – Si Debord écrit dans la thèse 4 « Le spectacle est un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images », l’origine de cette formule reste dans le brouillard. Il en va de même pour cette formule de V. « Le réseau est des rapports entre des branchés médiatisés par des branchements ».

7 – La vanité présomptueuse de cet auteur qui se targue du titre douteux de Hegelsturmführer, Sturmführer étant un degré de l’administration nationale socialiste, l’amène à reprocher à Debord que celui-ci n’ait pas nommé « ce dont le spectacle est le spectacle » (Introduction à la science de la publicité, Paris, Éditions Anonymes, 1975, p. 71), pour y répondre « Le spectacle est le spectacle de la publicité » (ibid.). Debord n’avait-il pas écrit que le spectacle est le spectacle de la vie ? (thèse 2) Voilà un joli procédé. On reproche à son maître de ne pas avoir employé les mots qu’on substitue aux siens et on croit l’avoir critiqué. Ce souci « d’originalité » coûte que coûte fait tout à fait honneur au vide de la pensée de ce maniaque de Hegel.

8 – J’entends déjà J. hurler à la double-pensée. Cependant, il ne s’agit là de double pensée que dans la mesure où la réalité du capital est elle-même double. La « double-pensée » est ici la seule pensée adéquate à son objet, ce qui ne veut pas dire qu’il faille en faire une « méthode » à titre universel, et qu’on pourrait « appliquer » à n’importe quel autre objet. La maxime cartésienne de parler clairement et distinctement doit être modifiée de telle sorte qu’il s’agisse, à propos du capital, d’énoncer clairement que le capital ne répond pas à la logique de l’entendement. La « confusion » n’est pas une confusion de la pensée mais de l’objet. Après Marx, seul Adorno avait compris cela. D’ailleurs, parler de « folie sociale » n’est-ce pas dire que la société raille la logique formelle ?

9 – De même, on ne peut parler d’un sujet Humanité qui aurait « choisi dans le courant du XVIIIe siècle, d’assigner à cette partie d’elle-même qui allait devenir le Capital, la tâche d’instaurer le règne de la marchandise » (premier essai, etc. p. 2). Ce discours anthropologique du Marx de 1844, critiqué déjà par le Marx de 1845, quoiqu’encore imparfaitement, ce discours est creux. Il n’y avait jamais eu de sujet Humanité qui aurait décidé de quoi que ce soit. C’est là plutôt la vision de Sartre qui voit partout des « sujets ». Dans la mesure où ce sujet n’existe pas ni n’a jamais existé, la phrase citée en exemple ci-dessus ne veut, au mieux, rien dire.

10 – Remarquons en passant que cette vision qui imagine l’ennemi surpuissant est le sol fertile où naît le ressentiment.

11 – Le Bailly (dictionnaire grec/français) donne pour signification de « théoria » : 1) action de voir, d’observer, d’examiner. 2) voyager pour voir le monde. 3) action de voir un spectacle, d’assister à une fête ; et à partir de Platon : contemplation de l’esprit, méditation ; chez Aristote : spéculation théorique, par opposition à la pratique.

12 – Ce dada des Cangaceiros a pour origine théorique l’analyse de l’I.S. du « Déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande » (I.S., no 10, mars 1966), où l’on peut lire « La révolte de Los Angeles est une révolte contre la marchandise. » (p. 4).

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