Quatrième de couverture des numéros 16 & 17
Le capital, dans ses nouvelles tendances, s’appuie sur une organisation en réseaux où les flux de matière et d’énergie ne dépendent pas seulement de la logique du profit, mais aussi des jeux de puissance au sein de ces réseaux. Aujourd’hui, l’État a perdu l’autonomie relative qui était la sienne dans la société de classes. La forme contemporaine de l’État-réseau, présent et actif partout, participatif et englobant, ne se pose plus en superstructure par rapport à une infrastructure capitaliste. Il y a symbiose entre État et capital selon la théorie des trois niveaux que nous avons développée dans notre précédent numéro. L’État n’est pas en surplomb de la société, puisqu’il a recours aux outils connexionnistes pour résorber ses institutions dans diverses formes d’intermédiation. Il en résulte que la forme de domination qu’il exerce n’est plus extérieure aux individus, mais basée sur l’internisation/subjectivisation des normes et des modèles dominants. Parmi ces modèles, celui de la technique joue un rôle central dans la stratification et la structuration de la vie sociale car il n’est pas un sous-produit manipulable à volonté, la seule question fondamentale demeurant celle de l’État ou de l’idée de pouvoir global que ce terme inspire. Bien au contraire, c’est la question de la technique qui se pose en premier lieu et influence de manière décisive les autres choix politiques. Toutefois, si les réseaux techniques ont une influence déterminante sur la dynamique du capital, nous critiquons l’hypothèse d’un « système » technique autonome ou « macro-système », même si ce dernier terme peut avoir une valeur heuristique à condition de lui soustraire les idées d’autonomie ou d’automaticité, de cohérence intrinsèque ou de finalisme qui lui sont généralement associées comme dans l’hypothèse du « capital automate ».
Il en est de même de la notion de « système » capitaliste : le capital ne tend vers l’unité qu’à travers des processus complexes de division et de fragmentation qui restent porteurs de contradictions et réservent des possibilités de crises et de luttes futures. C’est bien pour cela qu’il y a encore « société » et que nous parlons de « société capitalisée ». Le capital n’a pas engendré une domestication totale car il se fait milieu, valeurs, culture. Il y a bien une révolution du capital dont les signes se lisent, d’une part, dans une financiarisation et une virtualisation croissantes, d’autre part dans une adhésion partielle des individus à ces valeurs, à cette culture, à cette « ambiance ». L’hypothèse de « crise finale » d’un capitalisme qui posséderait une forte dynamique le poussant à « creuser sa propre tombe » a été démentie par les faits, même si sa dynamique actuelle repose sur le risque et donc suppose l’existence de crises.
Le capital n’a pas de forme consacrée. Si sa forme industrielle a pu constituer pendant une brève période, à l’échelle historique, un facteur de stabilisation, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous rejetons tout déterminisme, qu’il débouche sur l’idée d’une stabilisation automatique ou sur la croyance en un auto-effondrement spontané. Les jeux de puissance des uns, l’esprit de commerce ou d’entreprise et la soif de profit des autres, le désir d’un travail bien fait, l’intérêt pour la recherche et la création de savoirs chez d’autres enfin, le poussent sans cesse vers l’innovation. Nous assistons à ce mouvement au cours duquel la société capitalisée s’émancipe de ses contraintes sans que nous-mêmes ayons révolutionné ce monde. Quelle perspective alors nous permettrait-elle de maintenir notre hypothèse révolutionnaire ?