Temps critiques #13

Pour une critique de la conception fiscaliste de l’État

, par Jacques Wajnsztejn

1 – J'avoue ne pas comprendre toute la logique de ce dernier texte de N. Il apparaît comme une justification historique de certains points théoriques avancés par les textes précédents, mais en dehors de la problématique d'une caractérisation présente de l'État qui fait pourtant l'objet de notre échange.

2 – Plus gênant peut être, sa chronologie historique de la formation de l'État, qui ne repose que sur un seul mécanisme, l'amène à déshistoriser son développement comme s'il n'y avait qu'une forme d'État pérenne. Cela le conduit aussi à déshistoriser ses références comme le montre sa citation de Marx qui n'est pourtant utilisable que pour l'analyse de la domination formelle du capital.

3 – Sa conception fiscaliste de l'État repose essentiellement sur un long historique de la constitution des États. Nous ne le contredirons pas sur ce point car ce fiscalisme historique a été à la base de la puissance des États : sans système fiscal performant pas de possibilité de s'imposer aux diverses seigneuries ou clans concurrents et donc d'exercer une force centripète à même de constituer de grands ensembles. Dans un deuxième temps, ce fiscalisme a aussi conduit aux politiques redistributives de welfare mises en place dès la fin du XIXe siècle dans certains pays et généralisées à partir de 1945, mais Nicolas n'aborde pas ce point. Quand il parle de l'État actuel, il se concentre sur ce qui serait un troisième rôle de cette fiscalité : celui de mesurer la richesse d'un pays. Là encore nous ne pouvons qu'être d'accord si cela est entendu au sens d'un État qui capterait une partie de la richesse produite sur son sol. Mais Nicolas ne l'entend pas ainsi quand il fait converger cette capacité avec celle que l'État aurait en tant que propriétaire et donc en tant que centre autonome de profit. Or où a-t-il vu que l'État propriétaire était systématiquement centre de profit ? La plupart des nationalisations historiques ont toujours été considérées justement comme une façon de socialiser les pertes ! Bien sûr il y a bien quelques monopoles produisant des revenus à l'État, ce qui s'apparente au système fiscal, mais c'est périphérique par rapport à la gestion globale du capital qui est sous le contrôle de l'État.

Mais surtout, ce que nous décrit Nicolas est particulièrement remis en cause par le processus de globalisation et de totalisation actuel. En effet le pouvoir fiscal peut, peu ou prou, se rattacher au service de la dette alors que ce qui tend à dominer, progressivement depuis vingt ans, c'est le pouvoir créancier qui incite justement au « moins disant fiscal » et donc à une baisse générale des impôts et aux réductions budgétaires drastiques quand se pose le problème du financement des dépenses publiques1. Après la lutte contre l'inflation, mais en continuité avec elle, c'est aujourd'hui une lutte contre l'État spoliateur qui est menée. La régularisation financiarisée est la forme actuelle que prend le procès de totalisation contre les formes particularisées de la monnaie et de la fiscalité qui sont du ressort de l'État national. On sait toutefois que ce combat n'a pas vraiment de vainqueur définitif dans la mesure où cette régulation financière n'a pas encore trouvé de principe endogène de sauvegarde en tant de crise. Elle a besoin d'un principe extérieur qui est l'appel aux banques centrales et à la décision des autorités politiques.

4 – Cette autonomisation de la forme financière est en phase avec ce que nous disons plus généralement sur l'autonomisation des institutions. Pour un dernier état de notre approche on se reportera au no 12 et à l'article de Jacques Guigou sur « L'institution résorbée » ainsi qu'aux pages correspondantes de Bilan dans le présent numéro (p. 3).

 

 

Notes

1 – Par ce biais, le pouvoir créancier peut prétendre s'approprier une part du pouvoir politique comme le montre l'exemple de l'affermage des impôts sous l'ancien régime.