Temps critiques #13

De la souveraineté nationale à l’Empire Présentation et remarques critiques sur le livre Empire de M. Hardt et A. Negri. Exils, 2000

, par Jacques Wajnsztejn

Introduction liminaire1

Les auteurs partent d'une description de la notion de « souveraineté nationale », dont l'image la plus claire a été donnée par la forme de l'État-nation, pour en signaler la crise définitive. Crise qui n'est pas la fin de toute souveraineté, mais l'origine d'une nouvelle forme composée d'une série d'organismes nationaux et supranationaux unis sous une logique unique de gouvernement. Mais « l'Empire » n'est pas l'impérialisme qui n'est qu'une extension territoriale et de puissance, d'un ou plusieurs États-nations. Au contraire de l'impérialisme, l'Empire n'établit pas de centre territorial du pouvoir. C'est un appareil décentralisé et déterritorialisé de gouvernement qui intègre progressivement l'espace du monde. L'impérialisme serait terminé et les États-Unis, pas plus qu'aucun autre État-nation ne constitue l'épicentre de cet Empire.

On voit déjà ici le premier contresens d'une lecture d'ex-gauche et/ou libertaire qui assimile Empire et États-Unis.

Les auteurs prennent le soin de signaler qu'ils emploient cette notion comme un concept explicatif d'une approche théorique. Ce concept a trois caractéristiques principales : premièrement, le gouvernement de l'Empire n'a pas de limites, deuxièmement, il n'est pas le produit d'une conquête mais est un ordre qui suspend le cours de l'Histoire et troisièmement il ne se contente pas de réguler les échanges mais cherche à réguler directement la nature humaine (c'est en cela qu'il peut être défini comme un biopouvoir).

Il faut exclure d'entrée de jeu deux lectures de la constitution de cet ordre ; une première qui y verrait la conséquence spontanée de l'interaction de forces mondiales, que ce soit pour la louer (vision libérale) ou pour s'y plier comme à un destin (vision sociale-démocrate) et une autre qui y verrait la main d'une puissance unique, quelque chose comme une théorie de conspiration de la mondialisation avec évidemment derrière, les États-Unis et les transnationales réunis dans une sorte de Plan du Capital (c'est grosso modo la vision de l'extrême-gauche).

La souveraineté de l'État-nation

Ce sont les processus de l'accumulation primitive du capital qui ont imposé de nouvelles conditions à toutes les structures de pouvoir. C'est l'État-nation qui va créer la conception moderne du Peuple, c'est-à-dire quelque chose qui est un et donc est à l'opposé de la notion de multitude. La nation devient aussi la seule façon d'imaginer la communauté. Tout cela explique l'usage progressiste qu'il a été fait du concept, en tant que projet de libération, alors que la nation en tant qu'État souverain perd aussitôt ce caractère. Cela explique aussi les nombreuses polémiques autour de la question nationale suivant qu'on cède à un immédiatisme politique ou qu'on s'en remette au projet communiste comme fin de l'Histoire.

C'est la crise de la modernité en tant que pensée de la totalité organisée autour d'un universalisme abstrait issu des Lumières, mais invalidé par la réalité des pratiques coloniales des États-nations, qui va engendrer une crise de ces États, avant même que la mondialisation des échanges ne produise l'affaiblissement des souverainetés nationales. Ici l'ambiguïté de la position de Hardt et Negri réside dans le fait qu'ils se livrent à une apologie de la pensée post-moderne (la totalité est le mal) comme critique de l'ancien monde et origine du nouveau…alors qu'on peut difficilement reconnaître une dimension critique à une pensée qui ne fait que décrire et finalement souscrire à l'advenu !

La constitution de l'Empire

À l'origine historique de l'Empire, la révolution américaine et une nouvelle science politique que Tocqueville et Arendt vont encenser. La conception d'un pouvoir qui peut être constitué de toute une série de pouvoirs qui s'arrangent eux-mêmes en réseaux. Une théorie de la souveraineté qui renvoie à un pouvoir qui ne s'oppose pas à la société, mais l'intègre et la complète. Un pouvoir entièrement contenu dans la société (p. 210). Il y a l'idée d'immanence du pouvoir par opposition à la tradition européenne de la transcendance du pouvoir.

À l'origine juridique de l'Empire, l'expérience des Nations unies. À l'origine théorique, un hybride de la théorie des systèmes de Luckmann et de la théorie de la justice de Rawls qui débouche sur une situation de « gouvernance sans gouvernement ».

Les idées de « guerre juste » (guerre du golfe) et de « droit d'intervention » sont des exemples concrets de ce qui différencie impérialisme et Empire. Dans ce dernier cas il ne se constitue pas ni ne se renforce par l'exhibition de sa force, mais par la capacité qu'il a de la présenter comme au service du droit et de la paix, dans sa capacité à résoudre les conflits. Les alliances qui se sont tissés entre Etats-Unis, pays européens et pays arabes, aussi bien pendant la guerre du golfe qu'au cours du conflit contre les talibans reposent en effet là-dessus et non sur la défense de quelconques intérêts des occidentaux. Bien sûr que ces intérêts existent et par exemple, les européens ont encore bien plus « intérêt » que les américains à s'emparer des puits de pétrole irakien, mais ces intérêts économiques s'effacent devant les intérêts généraux de la reproduction globale. Le droit de police va être légitimé par l'appel à des valeurs universelles. Il prend donc des formes diversifiées comme le montre le développement des ONG humanitaires qui répandent ces mêmes valeurs. La relation entre prévention et répression a été particulièrement claire dans le règlement des derniers conflits ethniques, de la même façon que la « guerre juste « est soutenue par une police morale qui accompagne la police tout court et précède la sanction des tribunaux internationaux.

La légitimation fondamentale de cet ordre n'est pas à voir essentiellement au niveau de traités internationaux, mais dans les transformations des rapports de production et rapports sociaux. De la société disciplinaire à la société de contrôle (cf. Foucault), de la production matérielle au désir comme production (cf. Deleuze), de la primauté de la production sur la consommation et la circulation à la fusion des processus de production et de consommation dans la communication et la reproduction (les réseaux, la biopolitique).

Cette société en réseaux a une tendance démocratique à l'expansion par inclusion (elle détruit moins qu'elle ne s'ouvre à tout ce qui est intégrable), à une expansion sans limites. Dans l'Empire, l'Amérique tente de réussir son rêve de repousser éternellement « la frontière. » D'où la encore, la confluence d'une idéologie particulière et d'une idéologie générale sans que la première ne puisse représenter totalement la seconde même si elle paraît la piloter.

Dans l'Empire n'y a plus d'extérieur ce qui rompt avec la vision de Marx (et celle encore aujourd'hui, de la plupart des anarchistes) d'une force qui serait à la fois dans et en dehors du développement capitaliste. Il n'y a donc plus à chercher à opposer une quelconque valeur d'usage à la valeur d'échange. Il n'y a plus non plus de lieu déterminé de l'exploitation et de la domination2. Le travail abstrait est une activité sans lieu. Le processus de modernisation est achevé et c'est autre chose qui commence avec l'économie de l'information et la tendance à la domination du travail immatériel. Là encore l'Empire est le non lieu car par définition la communication n'est pas territorialisable. Enfin, le projet impérialiste aussi s'achève avec la fin de la guerre du Vietnam. C'est aussi l'ère des grands conflits qui se termine. L'Empire a un triple impératif :

– d'intégration d'abord. Il correspond à son image libérale qui accueille toutes les différences, jugées relatives, en son sein. L'indifférence est à la base de sa cohésion. Dans cette optique l'Empire n'a pas de frontière (il est aux antipodes de la vision d'une « forteresse-Europe « dont nous bassine toute l'extrême-gauche et qui rend compte, à son corps défendant, du fait que l'Empire n'est encore qu'une tendance à l'œuvre. Soyons certains que cette extrême-gauche participera, dans la mesure de ses faibles moyens, à la réalisation d'un espace complètement libéré dans lequel tout circulera sans limite) et joue au contraire sur sa force attractive. Il compte ainsi réaliser une nouvelle universalité sans conflits. Fin de la politique.

– de différenciation ensuite. La différence est ignorée au niveau politique, mais célébrée au niveau culturel (triomphe de l'idéologie multiculturaliste)

– de gestion et hiérarchisation enfin, dans une économie générale d'autorité.

Ce système général ne connaît pas la « crise » au sens classique, mais la « corruption » et de même que la crise ne produisait pas l'écroulement du système, la « corruption » n'en est pas la fin. Il ne connaît pas non plus la fin de l'Etat (autre erreur de lecture de l'extrême-gauche qui voit du néo-libéralisme partout) car sans lui le capital social ne peut se projeter et réaliser ses intérêts collectifs (pour qu'il en soit autrement, il faudrait qu'il y ait une sorte de world company qui domine le monde). Par contre ce qui disparaît c'est l'idée d'une autonomie de la politique (idée que Tronti, ancien compagnon de route de Negri, soutiendra dans l'optique d'une refondation de l'Etat et de l'espace social italien) et toute possibilité de réformisme, au sens social-démocrate du terme. Avec la fin de l'autonomie du politique, c'est l'idée de contre-pouvoir qui disparaît aussi (idée remise en service par des gauchistes comme Benasayag) puisqu'elle implique l'existence d'un pouvoir unifié face à lui.

À la pointe de la pyramide que forme l'Empire, se tient la super-puissance étasunienne qui a l'hégémonie sur l'utilisation mondiale de la force, une puissance qui peut agir seule mais préfère le faire sous l'égide des Nations Unis. Au second niveau de ce premier étage, on trouve les États du G7, les clubs etc. Au troisième, diverses associations qui déploient un pouvoir culturel et biopolitique. À l'étage inférieur on retrouve l'articulation des réseaux mis en place par les transnationales. Ce sont elles qui fournissent les marchés. Au même étage les divers États-nations gèrent les problèmes domestiques ; ils filtrent les flux, régulent et répartissent la richesse, ils disciplinent leurs populations. Le troisième étage, beaucoup plus large est celui des représentants de la multitude. On y trouve ce qui est appelé médiatiquement « la société civile » qui prend ici une forme mondiale. Les ONG y participent et certaines sont même essentielles, dans la mesure où elles transforment la politique en une question de vie de l'espèce et se retrouvent en phase (ce qui ne signifie pas du côté ou à la solde) avec les objectifs du biopouvoir de l'Empire (p. 382). Toutefois, cette société civile ne joue plus le rôle de médiation adéquat entre le capital et la souveraineté, comme le montre le déclin syndical (mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de contre-tendance comme le montrent certains aspects du mouvement anti-mondialisation qui cherche à produire de nouvelles médiations et même de nouvelles institutions).

Le système mondial, s'il semble dépasser certaines différenciations verticales (Negri n'arrive pas complètement à dépasser l'idée d'une division en classes et alors qu'il énonce p. 397, que le capital tend vers un espace lisse, une égalisation tendancielle, il est obligé de faire une note pour signaler que les nouvelles segmentations ne dépassent pas mais reproduisent cette division !) produit de nouvelles segmentations (précaires / garantis, géographique et urbaine comme le montre l'exemple extrême de Los Angeles) nécessitant de puissants dispositifs de la société de contrôle. C'est toute la logique de l'administration qui s'en trouve transformée. Elle s'autonomise de la décision politique et la différenciation des cas remplace le modèle unique de gestion3. La pratique de l'individualisation remplace le principe de l'universalité.

Les alternatives au sein de l'Empire

Le réseau mondial que forme l'Empire serait une réponse aux différentes luttes contre les machines modernes de pouvoir et plus particulièrement une réponse aux luttes de classes mues par le désir de libération de la multitude. Il faut faire ici une remarque importante. Si Hardt et Negri voient une rupture dans la constitution politique du présent » et par exemple une rupture entre souveraineté nationale et impérialisme d'un côté, réseaux de pouvoir et Empire de l'autre, ils ne voient pas, par contre, de rupture entre le cours des luttes actuelles et les luttes prolétariennes qui les ont précédées[4]. On aurait ainsi affaire à un « nouveau prolétariat » qui n'est pas « une nouvelle classe ouvrière industrielle », mais le concept général définissant tous ceux dont le travail est exploité par le capital, la totalité de la « multitude coopérante ». « Dans la post-modernité, le subjugué a absorbé l'exploité » (page 204). Les pauvres ont avalé et digéré la multitude des prolétariens. On est proche de l'idée d'une classe universelle qui subvertirait le système à titre humain, mais le va et vient entre la référence à une classe et la notion pré-classiste de multitude et celle post-classiste de l'humain dénote la difficulté de s'en tenir à une vision qui ne va pas au bout de la rupture produite par ce que j'appelle la révolution du capital.

Dans le contexte biopolitique de l'Empire, la production de capital converge plus encore avec la production et la reproduction de la vie sociale elle-même ; il devient ainsi encore plus difficile de maintenir les distinctions entre travail productif et travail improductif. Le prolétariat ne serait plus « subsumé » (soumis) comme « capital variable », comme une partie interne de la production du capital, mais devient un agent autonome de production. Tout ce passage est l'aboutissement d'une démarche théorique qui fait intervenir d'un côté l'opposition spinozienne entre la puissance de la multitude et le pouvoir de la domination : au niveau mondial le capital est confronté directement avec la multitude, sans médiation et particulièrement sans la médiation de la classe et de l'autre côté l'idée néo-opéraïste[5] d'une réappropriation possible de la richesse collective et des forces productives devenues sociales (« le general intellect »6), dans la mesure où le capital ne serait plus que commandement, parasite d'un processus qui lui échappe. « Toutefois, par rapport aux virtualités de la multitude, le gouvernement impérial apparaît comme une coquille vide ou un parasite » (p. 434). Negri retrouve Lénine (qu'il n'a jamais vraiment perdu de vue). Tout est une question de réappropriation (p. 488) et de changement de commandement.

Par là, nos auteurs pensent remplacer l'ancienne contradiction marxiste entre forces productives et rapports de production par celle entre commandement capitaliste et valorisation productive par la force de travail social. Ils ne voient que la subsomption du travail sous le capital, qu'ils analysent comme fausse souveraineté, alors qu'aujourd'hui la « société capitalisée » peut être définie comme la situation où c'est la société entière qui est subsumée par le capital. À l'époque de la reproduction, c'est la fonction, naturellement à un taux élevé d'interchangéabilité, qui est fondamentale (c'est pourquoi les demandes de flexibilité ne sont pas tant le fruit mauvais d'un patronat rapace, que d'une exigence précise de la reproduction) et non plus l'intelligence collective déjà incorporée dans l'être inorganique (le capital). La prétention de réduire ce qui a été défini comme « general intellect » aux capacités d'autovalorisation des individus permises par le développement de la technoscience est ridicule. Ces intelligences sont asservies à la machine avec une inversion de la fonction de prothèse qui fait de ses porteurs des reproducteurs de l'existant. Pourtant, Hardt et Negri sont bien conscients de ce changement qualitatif qu'ils perçoivent à partir de la notion de biopouvoir. « Biopouvoir qui est un autre nom pour la subsomption réelle de la société sous le capital » (p. 440), mais là encore il va leur suffire d'inverser les signes pour faire de la domination la base de la libération. Ce n'est pas, comme on pourrait s'y attendre, la vie qui devient l'objet du capital mais « La vie est ce qui pénètre et domine toute la production » (page 441). Il n'y a donc aucune raison de s'opposer à la production et au machinisme et nos auteurs de citer Marx dans sa critique du mouvement luddiste et son appréhension du conflit entre machines et ouvriers comme un faux conflit : « Il fallait à la fois du temps et de l'expérience avant que les travailleurs n'apprissent à distinguer entre le machinisme et son emploi par le capital, donc à transférer leurs attaques des instruments matériels de production à la forme de société qui utilise ces instruments » (Le Capital, livre 1, p. 963. La Pléiade). C'est ainsi qu'un des passages les plus critiquables de Marx devient le viatique pour de « nouvelles virtualités qui ont la capacité de prendre le contrôle des processus de la métamorphose machinique » (p. 443). De nouveau Lénine et Trotski, le socialisme de l'électricité, l'apologie du taylorisme et de l'armée…si elle est rouge ! Cette convergence de deux mouvements (la puissance immanente de la multitude et la fonction capitaliste devenue inutile) s'articule aussi autour d'une remise en cause de la dialectique, au profit d'une pensée affirmative qui trouve son origine chez Deleuze et Guatarri. L'activité de la multitude est donc positive, qui n'a pas besoin de se heurter au mouvement du capital, comme dans l'ancienne dialectique des luttes de classes, mais juste à se mouler dans le mouvement de déterritorialisation des anciennes structures d'exploitation et de contrôle. Des subjectivités nouvelles sont produites parce qu'elles ne se posent pas simplement contre le système impérial. « Ce ne sont pas des forces simplement négatives » (p. 93), alors que les forces de l'Empire, ses entreprises et capacités ne sont que destructrices, donc des pouvoirs de négation (p. 435). L'autorité impériale ne produit rien de vital, elle ne doit son dynamisme qu'aux obstacles qu'elle rencontre, à la résistance de la multitude (page 436). Cette position ouvre vers toutes les alternatives… sans révolution. Le « refus du travail » n'est alors que refus du commandement capitaliste et non critique du travail comme aliénation historique de l'activité générique des hommes.

Puisque l'Empire est une réponse aux luttes anti-pouvoir, il faut dire que l'Empire est bon, mais dire que l'Empire est bon en soi ne signifie pas qu'il est bon pour soi ! (Ici nos auteurs reprennent la distinction de Marx entre « classe en soi », c'est-à-dire la classe capital variable subsumé par le capital rapport social et « la classe pour soi », consciente et antagonique, la classe révolutionnaire). La construction de l'Empire est néanmoins un pas en avant et il est meilleur aujourd'hui que l'État-nation de la même façon que Marx soutenait que le capitalisme était meilleur que ce qui l'avait précédé. On s'aperçoit encore ici du contresens fait à propos de ces analyses par nombre de militants anti-mondialisation. Hardt et Negri critiquent très justement tout primitivisme et toute nostalgie vis-à-vis de l'ordre ancien, toute fausse dichotomie entre le local et le mondial, entre hétérogénéité et homogénéité, entre différence et identité. Le régime général de l'Empire est justement toujours un mixte. La seule critique qu'on peut émettre ici, par rapport à nos auteurs, c'est qu'ils restent dans une vision « progressiste » typique de l'ancien monde, vision contredite par toute leur analyse, en fait une apologie, de ce qu'ils nomment « post-modernisme ». Ce progressisme référé explicitement à Marx n'est possible que dans le cadre d'un sens de l'Histoire et la perspective d'une classe-sujet que les auteurs ont justement abandonnés (cette histoire là, c'est-à-dire au sens de Fukuyama, est bien finie disent-ils).

La mondialisation contient un élément utopique qui empêche de retomber dans le particularisme et pousse à forger un projet de contre-mondialisation, de contre-Empire. Les processus concrets de la mondialisation seraient déjà communisation de la multitude, du désir de communauté humaine (p. 437). Si certains révolutionnaires ne voient rien à conserver de ce système capitaliste, on peut dire que pour Hardt et Negri au contraire, la société nouvelle est contenue toute entière dans l'ancienne. Il n'y a plus de hiatus entre mouvement et but, un problème sur lequel ont buté la théorie communiste et les mouvements prolétariens, car il suffit d'inverser le sens du mouvement du capital pour que s'affirme la puissance de la multitude, dans son immanence. Par exemple, la flexibilité du capital sera le nomadisme de la multitude et la circulation internationale de la force de travail soumise aux besoins du capital sera le métissage. Chaque chose a son bon côté en quelque sorte !

Mais comment passer de ce nomadisme et de ce métissage à un nouveau programme politique ? Une première exigence serait la revendication d'une « citoyenneté mondiale » (p. 480). On tombe de haut. Cinq cents pages de bonne tenue pour en arriver aux platitudes du citoyennisme et au « minimalisme politique » !

 

 

Notes

1 – Mes remarques sont insérées dans le corps du texte, mais en italique

2 – Dans certains articles de la revue Futur Antérieur, Negri a produit une critique de la théorie de la valeur-travail, mais uniquement du point de vue de son impossible mesure, de son impossible localisation. Il ne l'a pas produite en tant que c'est le capital qui la liquide par l'inessentialisation de la force de travail.

3 – Cf. notre « L'État-nation n'est plus éducateur. L'État-réseau particularise l'école. Une gestion au cas par cas », dans le no 12 de la revue Temps Critiques.

4 – Pour une position différente, cf. notre « Renouer le fil historique ». Temps Critiques no 12.

5 – Pour une critique de cette position, cf. mon article « Le devenu de l'autonomie : le neo-opéraïsme » dans L'Individu et la communauté humaine, L'Harmattan, 1998, p. 71.

6 – Pour une critique de cette notion, cf. Temps Critiques no 8, pages 23 à 32.